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PAUL

Louis ; mais elles se rendoient rarement à la ville, de peur d’y être méprisées, parcequ’elles étoient vêtues de grosse toile bleue du Bengale comme des esclaves. Après tout, la considération publique vaut-elle le bonheur domestique ? Si ces dames avoient un peu à souffrir au dehors, elles rentroient chez elles avec d’autant plus de plaisir. À peine Marie et Domingue les apercevoient de cette hauteur sur le chemin des Pamplemousses, qu’ils accouroient jusqu’au bas de la montagne pour les aider à la remonter. Elles lisoient dans les yeux de leurs esclaves la joie qu’ils avoient de les revoir. Elles trouvoient chez elles la propreté, la liberté, des biens qu’elles ne devoient qu’à leurs propres travaux, et des serviteurs pleins de zele et d’affection. Elles-mêmes, unies par les mêmes besoins, ayant éprouvé des maux presque semblables, se donnant les doux noms d’amie, de compagne et de sœur, n’avoient qu’une volonté, qu’un intérêt, qu’une table. Tout entre elles étoit commun. Seulement si d’anciens feux plus vifs que ceux de l’amitié se réveilloient dans leur ame, une religion pure, aidée par des mœurs chastes, les dirigeoit vers une autre vie, comme la