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ET VIRGINIE

les passions portoient avec elles leur punition ; que la mort prématurée de son mari étoit un juste châtiment de Dieu ; qu’elle avoit bien fait de passer aux isles plutôt que de déshonorer sa famille en France ; qu’elle étoit après tout dans un bon pays où tout le monde faisoit fortune, excepté les paresseux. Après l’avoir ainsi blâmée elle finissoit par se louer elle-même : pour éviter, disoit-elle, les suites souvent funestes du mariage, elle avoit toujours refusé de se marier. La vérité est qu’étant ambitieuse, elle n’avoit voulu épouser qu’un homme de grande qualité ; mais quoiqu’elle fût très riche, et qu’à la cour on soit indifférent à tout excepté à la fortune, il ne s’étoit trouvé personne qui eût voulu s’allier à une fille aussi laide, et à un cœur aussi dur.

Elle ajoutoit par post-scriptum que, toute réflexion faite, elle l’avoit fortement recommandée à M. de la Bourdonnais. Elle l’avoit en effet recommandée, mais suivant un usage bien commun aujourd’hui, qui rend un protecteur plus à craindre qu’un ennemi déclaré : afin de justifier auprès du gouverneur sa dureté pour sa niece, en feignant de la plaindre, elle l’avoit calomniée.