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ET VIRGINIE

de là ; mais bientôt les forces lui manquerent, et il fut obligé de la mettre à terre, et de se reposer auprès d’elle. Virginie lui dit alors : « Mon frere, le jour baisse ; tu as encore des forces, et les miennes me manquent ; laisse-moi ici, et retourne seul à notre case pour tranquilliser nos meres. — Oh ! non, dit Paul, je ne te quitterai pas. Si la nuit nous surprend dans ces bois, j’allumerai du feu, j’abattrai un palmiste, tu en mangeras le chou, et je ferai avec ses feuilles un ajoupa pour te mettre à l’abri ». Cependant Virginie s’étant un peu reposée, cueillit sur le tronc d’un vieux arbre penché sur le bord de la riviere de longues feuilles de scolopendre qui pendoient de son tronc ; elle en fit des especes de brodequins dont elle s’entoura les pieds, que les pierres des chemins avoient mis en sang ; car dans l’empressement d’être utile elle avoit oublié de se chausser. Se sentant soulagée par la fraîcheur de ces feuilles, elle rompit une branche de bambou, et se mit en marche en s’appuyant d’une main sur ce roseau, et de l’autre sur son frere.

Ils cheminoient ainsi doucement à travers les bois ; mais la hauteur des arbres et l’épaisseur de leurs feuil-