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ET VIRGINIE

fils… Vous ma mere, lui dit-il, vous qui séparez le frere d’avec la sœur ! Tous deux nous avons sucé votre lait ; tous deux, élevés sur vos genoux, nous avons appris de vous à nous aimer ; tous deux, nous nous le sommes dit mille fois. Et maintenant vous l’éloignez de moi ! Vous l’envoyez en Europe, dans ce pays barbare qui vous a refusé un asile, et chez des parents cruels qui vous ont vous-même abandonnée. Vous me direz : Vous n’avez plus de droits sur elle, elle n’est pas votre sœur. Elle est tout pour moi, ma richesse, ma famille, ma naissance, tout mon bien. Je n’en connois plus d’autre. Nous n’avons eu qu’un toit, qu’un berceau ; nous n’aurons qu’un tombeau. Si elle part, il faut que je la suive. Le gouverneur m’en empêchera ? M’empêchera-t-il de me jeter à la mer ? Je la suivrai à la nage. La mer ne sauroit m’être plus funeste que la terre. Ne pouvant vivre ici près d’elle, au moins je mourrai sous ses yeux, loin de vous. Mere barbare ! femme sans pitié ! puisse cet océan où vous l’exposez ne jamais vous la rendre ! puissent ses flots vous rapporter mon corps, et le roulant avec le sien parmi les cailloux de ces rivages,