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ET VIRGINIE

frégates, des coupeurs d’eau, et d’une multitude d’oiseaux de marine, qui, malgré l’obscurité de l’atmosphere, venoient de tous les points de l’horizon chercher des retraites dans l’isle.

Vers les neuf heures du matin on entendit du côté de la mer des bruits épouvantables, comme si des torrents d’eau, mêlés à des tonnerres, eussent roulé du haut des montagnes. Tout le monde s’écria : « Voilà l’ouragan » ! et dans l’instant un tourbillon affreux de vent enleva la brume qui couvraît l’isle d’Ambre et son canal. Le Saint-Géran parut alors à découvert avec son pont chargé de monde, ses vergues et ses mâts de hune amenés sur le tillac, son pavillon en berne, quatre cables sur son avant, et un de retenue sur son arriere. Il étoit mouillé entre l’isle d’Ambre et la terre, en-deçà de la ceinture de récifs qui entoure l’Isle de France, et qu’il avoit franchie par un endroit où jamais vaisseau n’avoit passé avant lui. Il présentoit son avant aux flots qui venoient de la pleine mer, et à chaque lame d’eau qui s’engageoit dans le canal, sa proue se soulevoit tout entiere, de sorte qu’on en voyoit la carêne en l’air ; mais dans ce mouvement sa