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ET VIRGINIE

mer. L’horizon offroit tous les signes d’une longue tempête ; la mer y paraissoit confondue avec le ciel. Il s’en détachoit sans cesse des nuages d’une forme horrible qui traversoient le zénith avec la vitesse des oiseaux, tandis que d’autres y paroissoient immobiles comme de grands rochers. On n’appercevoit aucune partie azurée du firmament ; une lueur olivâtre et blafarde éclairoit seule tous les objets de la terre, de la mer, et des cieux.

Dans les balancements du vaisseau, ce qu’on craignoit arriva. Les cables de son avant rompirent ; et comme il n’étoit plus retenu que par une seule ansiere, il fut jeté sur les rochers à une demi-encablure du rivage. Ce ne fut qu’un cri de douleur parmi nous. Paul alloit s’élancer à la mer, lorsque je le saisis par le bras : « Mon fils, lui dis-je, voulez-vous périr ? — Que j’aille à son secours, s’écria-t-il, ou que je meure » ! Comme le désespoir lui ôtait la raison, pour prévenir sa perte, Domingue et moi lui attachâmes à la ceinture une longue corde dont nous saisîmes l’une des extrémités. Paul alors s’avança vers le Saint-Géran, tantôt nageant, tantôt marchant sur les récifs. Quelquefois il avoit