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JEAN-ARTHUR RIMBAUD


Le jeune homme devant les laideurs de ce monde
Tressaille dans son cœur, largement irrité,
Et, plein d’une blessure éternelle et profonde,
Se prend à désirer sa sœur de charité.

Mais, ô femme, monceau d’entrailles, pitié douce,
Tu n’es jamais la Sœur de charité, jamais !
Ni regard noir, ni ventre où dort une ombre rousse,
Ni doigts légers, ni seins splendidement formés.

Aveugle irréveillée aux immenses prunelles,
Tout notre embrassement n’est qu’une question :
C’est toi qui pends à nous, porteuse de mamelles,
Nous te berçons, charmante et grave passion.

Tes haines, tes torpeurs fixes, tes défaillances
Et les brutalités souffertes autrefois,
Tu nous rends tout, ô Nuit pourtant sans malveillances,
Comme un excès de sang épanché tous les mois.

— Quand la femme portée un instant l’épouvante,
Amour, appel de vie et chanson d’action,
Viennent la Muse verte et la Justice ardente
Le déchirer de leur auguste obession.

Ah ! sans cesse altéré des splendeurs et des calmes,
Délaissé des deux Sœurs implacables, geignant
Avec tendresse après la science aux bras aimes,
Il porte à la nature en fleurs son front saignant.

Mais la noire alchimie et les saintes études
Répugnent au blessé, sombre savant d’orgueil ;
II sent marcher sur lui d’atroces solitudes.
Alors, et toujours beau, sans dégoût du cercueil,