Page:Berrichon - Jean-Arthur Rimbaud, 1912.djvu/274

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Je voyais tout le décor dont, en esprit, il s’entourait vêtements, draps, meubles : je lui prêtais des armes, une autre figure. Je voyais tout ce qui le touchait, comme il aurait voulu le créer pour lui. Quand il me semblait avoir l’esprit inerte, je le suivais, moi, dans des actions étranges et compliquées, loin, bonnes ou mauvaises : j’étais sûre de ne jamais entrer dans son monde… Enfin sa charité est ensorcelée, et j’en suis la prisonnière. Aucune autre âme n’aurait assez de force, — force de désespoir ! — pour la supporter, pour être protégée et aimée par lui. D’ailleurs, je ne me le ngurais pas avec une autre âme : on voit son Ange, jamais l’Ange d’un autre, — je crois. J’étais dans son dme comme dans un palais qu’on a vidé pour ne pas voir une personne si peu noble que vous : voilà tout…

Tristement dépitée, je lui dis quelquefois : « Je te comprends ». — Il haussait les épaules.

Il veut vivre somnambule. Seules, sa bonté et sa charité lui donneraient-elles droit dans le monde réel ? Par instants, j’oublie la pitié où je suis tombée : lui me rendra forte, nous voyagerons, nous chasserons dans les déserts, nous dormirons sur les pavés des villes inconnues, sans soins, sans peine. Ou je me réveillerai, et les lois et les moeurs auront changé, — grâce à son pouvoir magique ; ou le monde, en restant le même, me laissera à mes désirs, joies, nonchalances. Oh ! la vie d’aventures qui existe dans les livres des enfants, pour me récompenser, j’ai tant souffert, me la donneras-tu ? Il ne peut pas. J’ignore