Page:Berrichon - Jean-Arthur Rimbaud, 1912.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cantiques », dit-il dans son Adieu — et délibérément chercher, par le moyen du travail positif et rémunérateur, à acquérir la fortune qu’il n’a pas et à conquérir par là l’indépendance totale, le droit à l’Idéal…

Or, voici arriver l’automne, la maturité. Il n’a pourtant que dix-huit ans ! Mais pourquoi regretterait-il la continuation de sa jeunesse, puisqu’il est engagé « à la découverte de la clarté divine », qui ne s’enclot dans aucune période de temps ? À présent que, par devoir assumé, il est décidé au travail vulgaire, à l’étreinte de « la réalité rugueuse », sa « barque élevée dans les brumes immobiles tourne », malgré lui, « vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue » : il évoque Paris. Et cette évocation ramène en son souvenir la vision de l’essor prodigieux de son génie, condamné aujourd’hui par sa conscience à se taire et dont, avec un dernier regret, il prononce magnifiquement l’arrêt :


Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru