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JEAN-ARTHUR RIMBAUD

patrouillotisme aux portes de Mézières ; ma patrie se lève !… Moi, j’aime mieux la voir assise ; ne remuez pas les bottes ! c’est mon principe.

Je suis dépaysé, malade, furieux, bête, renversé ; j’espérais des bains de soleil, des promenades infinies, du repos, des voyages, des aventures, des bohémienneries, enfin : j’espérais surtout des journaux, des livres… Rien ! Rien ! Le courrier n’envoie plus rien aux libraires ; Paris se moque de nous joliment : pas un seul livre nouveau ! c’est la mort ! Me voilà réduit, en fait de journaux, à l’honorable Courrier des Ardennes, propriétaire, gérant, directeur, rédacteur en chef et rédacteur unique, A. Pouillard ! Ce journal résume les aspirations, les vœux et les opinions de la population, ainsi, jugez ! c’est du propre !… On est exilé dans sa patrie !!!

Heureusement, j’ai votre chambre : — Vous vous rappelez la permission que vous m’avez donnée. — J’ai emporté la moitié de vos livres ! J’ai pris le Diable à Paris. Dites-moi un peu s’il y a jamais eu quelque chose de plus idiot que les dessins de Granville ? — J’ai Costal l’indien, j’ai la Robe de Nessus, deux romans intéressants. Puis, que vous dire ?… j’ai lu tous vos livres, tous ; il y a trois jours, je suis descendu aux Épreuves, puis aux Glaneuses, — oui, j’ai relu ce volume ! — puis ce fut tout !… Plus rien ; votre bibliothèque, ma dernière planche de salut, était épuisée !… Le Don Quichotte m’apparut ; hier j’ai passé, deux heures durant, la revue des bois de Doré : maintenant, je n’ai plus rien ! — Je