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JEAN-ARTHUR RIMBAUD

Gill — il l’a lui-même raconté quelque part — était absent de son atelier, lorsque Rimbaud y arriva ; mais il avait, selon son habitude, laissé sa clef sur la porte. Quand il rentra, sa surprise fut grande d’apercevoir sur la banquette de l’antichambre quelqu’un y ronflant à gros poings rouges et fermés. Il ne cria pourtant ni : à l’assassin ! ni : au voleur ! et se contenta de réveiller l’intrus, qui, se frottant les yeux, après de l’égarement, se reconnut, reconnut l’artiste, se présenta en rougissant, dit son histoire, confia son espoir. On sait que le bon caricaturiste, ahuri et blagueur, ne comprenant du reste point l’apparition de cette figure fantasque et angélique, lui signifia son congé en lui remettant, d’un beau geste, un viatique de quelques francs. Rimbaud s’en alla, grognon. Au fond, sa candeur s’étonnait qu’on s’étonnât, et il était dépité d’avoir été traité en mendiant par cet André Gill.

Le produit de la vente de sa montre d’argent avait à peine suffi au paiement du voyage en chemin de fer. Il ne connaissait aucun refuge dans ce Paris, étranger absolument malgré une précédente présence, laquelle, on se souvient, s’était écoulée toute en prison. Que faire pour vivre et où aller ? Sans feu ni lieu, par cette fin d’hiver et huit jours durant, il dut errer à travers les rues, dont les boutiques Ironiquement se ra-