Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/332

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Ignorante des lieux, et surprise de peur.
Le sort est favorable à ce premier labeur !
Dequoy tressautant d’aise et boüillant de courage,
Choroebe en ce succez nous tient un tel langage :
Ô compagnons, dit-il, suivons en combattant
Le chemin de salut que nous va presentant
L’effort dont nostre bras a rougy ceste place,
Et la faveur du ciel secondant nostre audace.
Eschangeons nos boucliers avec ceux des vaincus :
Et vestons pour un temps les armets, les escus,
Et les marques des grecs : qu’importe si l’on use
Contre son ennemy de vaillance ou de ruse ?
Eux-mesmes fourniront des armes à nos mains.
Ce dict, il vest l’armet qui du chef jusqu’aux reins
Ombrageoit d’un long crin ondoyant en pennache,
La teste d’Androgee, empoigne sa rudache,
Et s’estant tout couvert du harnois emprunté,
Se ceint la grecque espee à l’entour du costé.
Autant en fait Riphee : autant Dymas luy-mesme,
Et toute la jeunesse aimant ce stratageme :
Chacun allaigrement se revestant le corps
De la fraische despoüille arrachee à ces morts.
Nous allons aussi tost, d’un hazardeux meslange,
Imprudents nous conjoindre à la grecque phalange :
Et par l’obscure nuict attaquant maints combats,
Nous faisons trébuscher force ennemis à bas.
Les uns d’eux emportez d’une fuite craintive,
Recherchent leurs vaisseaux et le sein de la rive ;
Les autres maistrisez d’une honteuse peur,
Remontent dans les flancs du colosse trompeur :
Et pour se recacher, derechef se retirent
Dans le ventre cogneu d’où naguere ils sortirent.