Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/531

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Comme il est impossible aux regards de nos yeux,
D’embrasser tout-ensemble et la terre et les cieux.
Que diray-je de toy sans blesser ton merite,
Belle et saincte Eusebie, en qui Dieu seul habite ?
Tu remplis bien des feux d’une celeste ardeur
Les roys de qui ta grace embellit la grandeur :
Tu fais bien que leur vie est un parlant exemple
Du pouvoir des vertus dont le ciel est le temple :
Mais tu les fais d’ailleurs, s’ils n’excellent qu’en toy,
Trop froidement toucher les autres soins d’un roy :
Estre en paix trop reclus, trop scrupuleux en guerre,
Et tant penser au ciel qu’ils en perdent la terre.
On peut Evergesie, en loüant tes effects,
Craindre de pareils maux des graces que tu fais.
Car qu’est-ce qu’en un roy plus souvent on égale
Aux bontez du seigneur qu’une ame liberale ?
Les princes liberaux semblent estre des dieux
Que le soin des mortels ait attirez des cieux,
Pour chasser d’icy bas l’indigence affamee
Dont la pauvre vertu souvent est opprimee.
Aussi, comme d’un dieu, leur nom est adoré :
On court pour leur service au trespas asseuré :
Et leur cause le fruict de tant de bien-veillance,
Es uns le souvenir, aux autres l’esperance,
Que tous les vœux qu’on fait se terminent en eux,
Et qu’autant qu’un soleil leur sceptre est lumineux.
Mais tu fais d’autre part que ces traicts de largesse
Bien souvent sont au peuple un fardeau qui le blesse,
Et que, pour empescher ces graces de tarir
Un prince estant contraint de souvent recourir
Aux tributs, aux imposts, et par fois aux rapines,
On voit les fleurs des uns n’estre aux autres qu’espines,
Et l’avarice en fin remplir injustement
Ce que trop de largesse à vuidé follement.