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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

tous les points, et le jour de la cérémonie fut fixé à un mois de date, c’est-à-dire à la prochaine tournée d’inspection de Georges, que les exigences du service obligeaient de partir le lendemain matin.

Chacun des assistants, chose rare en pareille circonstance, avait lutté de délicatesse et de désintéressement,

quand Raymond Fleuriot dit de ce ton simple et légèrement triste qui lui était ordinaire :

— Vous serez pauvres, mes amis, mais vous n’en serez pas moins heureux, je l’espère ; car toi, ma sœur, tu es une douce et laborieuse fille, intelligente, aux goûts modestes, et qui saura remplir tous ses devoirs ; vous, monsieur Vincent, vous êtes un homme franc, loyal, et cette gaieté que je vous envie cache, je le sais, les sentiments les plus généreux et les plus élevés… Vous serez heureux enfin parce que vous vous aimez, parce que votre affection, basée sur une estime réciproque, est supérieure aux considérations qui prévalent dans la plupart des mariages. J’aurais voulu, comme chef de la famille, pouvoir vous faire un cadeau digne de vous ; mais vous savez combien mes profits sont restreints et misérables… J’ai réussi pourtant à réaliser quelques modestes économies, ces deux dernières années, et je prierai ma sœur de les accepter pour les frais de sa noce et de son trousseau.

— Quoi ! Raymond, demanda Lucile au comble de l’étonnement, toi qui te privais même du nécessaire, tu as trouvé moyen d’épargner…

— Oh ! une somme tellement modique… Il s’agit, Lucile, de quatre cents francs, que, dans la prévision de ton établissement futur, j’ai prélevés sur les produits de mon travail de copiste… Pardonne-moi, ma sœur, pardonnez-moi aussi, ma chère mère, ajouta-t-il avec émotion, si j’ai paru en différentes circonstances demeurer insensible à vos besoins, sourd à vos plaintes, pour conserver et augmenter cette mesquine épargne !