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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

de chasser était une espèce de canards, assez rare en France, qu’on appelle tadornes ou canards-lapins, parce qu’en effet ils font leur nid dans des terriers de lapins, après en avoir chassé les propriétaires. Plusieurs nichées de ces singuliers oiseaux avaient été vues sur les bords d’un étang solitaire, situé à une lieue du village ; et, en apprenant cette circonstance, Cransac, sportsman enthousiaste, avait éprouvé un ardent désir de tuer quelques tadornes. Aussi, quoique dans le trajet l’occasion se présentât plusieurs fois de tirer sur d’autres animaux, réservait-il ses coups, de peur que le bruit de l’explosion n’effrayât le précieux gibier.

L’attitude de Grélu, ce jour-là, était de nature à causer de l’étonnement. Le petit chien, dont l’ardeur pour la chasse était célèbre dans tout le pays, ne paraissait pas s’apercevoir que lièvres et perdreaux partaient presque sous son nez. Il continuait de trottiner, la tête basse, la queue et les oreilles pendantes, les yeux fixes, et fréquemment il mordait sa laisse. Mais on attribuait sa mauvaise humeur au chagrin qu’il ressentait de l’absence de son maître, et on ne s’en inquiétait pas.

Le vicomte et Fleuriot, ayant quitté le chemin frayé, s’avançaient en droite ligne vers l’étang où devait avoir lieu la chasse. Il n’y avait ni hạies ni fossés pour arrêter leur marche dans ce pays inculte et tout ouvert ; parfois seulement il leur fallait éviter une flaque d’eau croupissante, habitée par des salamandres et des tétards. La bruyère faisait entendre un crépitement sec sous leurs pieds, tandis que de grandes sauterelles grises sautillaient en tous sens autour d’eux.

Ce silence et cette monotonie auraient dû inviter les promeneurs à la conversation ; mais, en dépit des efforts de Cransac, on n’avait encore échangé que d’insignifiantes paroles quand, arrivé à mi-chemin de l’étang, Fleuriot s’arrêta et regarda en arrière. De cet endroit on apercevait