Page:Bertrand, Gaspard de la nuit, 1920.djvu/14

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pierreuses de Saint-Joseph, ravinées par l’orage ! Que de fois j’ai pêché l’écrevisse dans les gués échevelés des Tilles [7], parmi les cressons qui abritent la salamandre glacée et parmi les nénuphars dont bâillent les fleurs indolentes ! Que de fois j’ai épié la couleuvre sur les plages embourbées de Saulons, qui n’entendent que le cri monotone de la foulque et le gémissement funèbre du grèbe ! Que de fois j’ai étoilé d’une bougie les grottes souterraines d’Asnières où la stalactite distille avec lenteur l’éternelle goutte d’eau de la clepsydre des siècles ! Que de fois j’ai hurlé de la corne, sur les rocs perpendiculaires de Chèvre-Morte, la diligence gravissant péniblement le chemin à trois cents pieds au-dessous de mon trône de brouillards ! Et les nuits mêmes, les nuits d’été, balsamiques et diaphanes, que de fois j’ai gigué comme un lycanthrope autour d’un feu allumé dans le val herbu et désert, jusqu’à ce que les premiers coups de cognée du bûcheron ébranlassent les chênes ! Ah ! monsieur, combien la solitude a d’attraits pour le poète ! J’aurais été heureux de vivre dans les bois et de ne faire pas plus de bruit que l’oiseau qui se désaltère à la source, que l’abeille qui picore à


7. ↑ Nom générique de plusieurs petites rivières qui arrosent le pays de la plaine, entre Dijon et la Saône.