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Page:Bertrand, Gaspard de la nuit, 1920.djvu/28

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que l’indigne contrefaçon, que le rayonnement éteint de la moindre de ses œuvres immortelles. Toute originalité est un aiglon qui ne brise la coquille de son œuf que dans les aires sublimes et foudroyantes du Sinaï. — Oui, monsieur, j’ai longtemps cherché l’art absolu ! O délire ! ô folie ! Regardez ce front ridé par la couronne de fer du malheur ! Trente ans ! et l’arcane que j’ai sollicité de tant de veilles opiniâtres, à qui j’ai immolé jeunesse, amour, plaisir, fortune, l’arcane gît, inerte et insensible, comme le vil caillou, dans la cendre de mes illusions ! Le néant ne vivifie point le néant. »

Il se levait. Je lui témoignai ma commisération par un soupir hypocrite et banal.

— « Ce manuscrit, ajouta-t-il, vous dira combien d’instruments ont essayés mes lèvres avant d’arriver à celui qui rend la note pure et expressive, combien de pinceaux j’ai usés sur la toile avant d’y voir naître la vague aurore du clair-obscur. Là sont consignés divers procédés nouveaux peut-être d’harmonie et de couleur, seul résultat et seule récompense qu’eussent obtenus mes élucubrations. Lisez-le ; vous me le rendrez demain. Six heures sonnent à la cathédrale ; elles chantent le soleil qui s’esquive le long de