Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/31

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La plupart de ceux qui se trouvaient là, avec lui, étaient d’anciens esclaves nourris dans sa maison familiale. Aussitôt après sa conversion, Cyprien les avait affranchis, mais il était si bon maître que tous avaient demandé en grâce de rester à son service. Jader et ses deux muletiers appartenaient depuis longtemps à l’église de Carthage : ils étaient même ses aînés dans la foi. Au plus fort de la récente persécution, leur fidélité ne s’était point démentie. Il n’en était pas de même, hélas ! de Saturninus, le marchand de curiosités, qui, lui, avait lamentablement « failli ». Cependant il était revenu, en se frappant la poitrine, et sa pénitence paraissait sincère.

Seul, le second soldat de l’escorte excitait quelque défiance dans l’esprit de Cyprien. Il le dévisagea plus attentivement : c’était un Pannonien, gros garçon au teint rose, aux cheveux blonds frisés, que partageait, sur le côté gauche, une raie correcte, l’air stupide et doux d’un mouton, d’ailleurs parfaitement discipliné. Victor, qui devinait les pensées de l’évêque, lui dit avec son insouciance, ordinaire :

« Ne crains rien, Père ! On peut tout dire et tout faire devant lui. Il ne sait pas un mot de latin, ni de punique : il ne comprend que les commandements militaires. Nos rites ne peuvent être pour lui que des coutumes romaines, et notre Dieu qu’un dieu de Rome. »

Cyprien finit par engager le barbare à s’approcher du repas que l’on prit en commun : ce fut une véritable agape, que Migginn, le cuisinier, avait préparée aussi copieuse et succulente que possible, comme il convenait pendant cette longue fête du temps pascal. Quand ce fut fini, l’évêque récita l’action de grâces, puis il dit aux convives :

« Frères, achevons joyeusement cette soirée, et, pour que l’heure même du repos ne soit pas exempte des grâces divines, si vous le voulez bien, nous allons chanter un de nos cantiques habituels… »