Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/81

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J’y suis accoutumé et j’y suis tranquille Les autres serviteurs seraient méchants pour moi… »

Cependant Martialis, qui ne l’écoutait plus, avait passé son bras sous celui de Cécilius. Fouetté par le portier, le chien s’était retiré dans sa niche, où il grommelait encore.

« J’ai ces bêtes en horreur ! jeta, presque agressivement Cécilius à son hôte qui, par une allée de platanes, l’emmenait vers la maison.

– Et moi qui les adore ! dit le vieillard d’un air d’affliction comique.

– Est-ce possible ! Toi, un sage !… Comment peux-tu souffrir à tes côtés ces outres d’Éole ambulantes, ces bêtes malpropres et puantes, bruyantes et stupides, les seules qui étalent leur ordure et qui reviennent à leur vomissement ? Connais-tu rien de plus imbécile que l’aboiement mécanique du chien ? Les autres animaux ont au moins un semblant de voix articulée… La voix du chien, c’est du vent qui fait rage, — le soufflet du cyclope…

– Voilà une opinion solidement motivée, dit Martialis railleur. Néanmoins, tu souffriras que je ne la partage point. Tu sais, je suis un sceptique incorrigible. Toutes les opinions me paraissent défendables. C’est pourquoi j’aurais mauvaise grâce à contester contre la tienne. »

Il rit d’un gros rire débonnaire, et serra d’une pression plus affectueuse le bras de Cécilius.

Celui-ci aimait sincèrement ce voisin de campagne, le seul d’ailleurs qu’il fréquentât. Malheureusement, Martialis ne venait jamais qu’en passant à Muguas. Presque tout l’été et l’automne, il séjournait dans un immense domaine, dont il avait hérité aux environs de Milève. C’était un homme aimable, qui se piquait de rester fidèle, comme Cicéron son idole, aux enseignements de l’Académie. Il appartenait au siècle précédent non seulement par son âge, mais par ce libéralisme superficiel qui avait été de mode sous les premiers Antonins. Maintenant, dans une société étroitement dévote, cet esprit