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POÈTES D’AUJOURD’HUI

Nous enverra l’ancien zéphir
Qu’ont caressé bien des poètes…
Nous reverrons le triste temps
Où l’on faisait les amourettes
En mélancolie de printemps,
Quand on avait de longs cheveux,
Qu’on raclait des airs de bohème,
Au printemps des premiers aveux. —
Et rêvons les mansardes blêmes,
Et les pots de vin engloutis
De ces crânes aux fortes lèvres
Qui, le cœur brisé, sont partis
Dans des cimetières de fièvres,
Au pays des premiers amours…
De ces gueux à la taille fine,
Au boléro de troubadours,
Qui s’en allaient dans la ravine
Pleurer celles qui ne sont plus,
Ceux qui sont morts sans qu’on pâlisse,
Au temps des longs chapeaux pointus,
En prononçant le nom d’Alice…
El qui, sous les saules d’hiver,
Songent morts à leur endormie…
Et ce temps-là, c’était hier,
Ô ma lampe, ô ma pauvre amie !..

Ô ma lampe, ô ma pauvre amie,
Le temps n’est plus où sous tes yeux
Sous ton froid regard de momie,
Les poètes dévotieux,
Avec leurs muses d’élégie
Sanglotaient des sanglots frileux…
Triste nuit, de leur sang rougie,
Toi, pâle Musc aux doux yeux bleus,
Qui chantais à la pleine lune,
Tout est passé, comme le cri
D’un oiseau blessé dans la hune…
Ta pauvre robe a défleuri.
Fille des âmes solitaires…