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cent principal et l’accent secondaire (Hauptbetonung, Nebenbetonung) ; or, cette ressource manque au gosier français ; d’où découle la nécessité de se rattraper sur la rime des déchets et de l’insuffisance acoustique des accents. La rime est, littéralement, le porte-voix, le cornet acoustique dont le vers se sert et sans lesquels il nous laisserait à moitié sourds.

De là l’importance progressive et absorbante qu’elle a prise ; de là, en dépit des exagérations inévitables, la nécessité esthétique de sa prépondérance. Notez bien que les dix-huit vingtièmes de la poésie lyrique en Allemagne et en Angleterre vivent sur la rime ; que Faust, drame philosophique, — tout comme Childe Harold, une tournée philosophique en vers, — est, à part quelques pages, très richement rimé d’un bout à l’autre, et qu’on serait fort mal venu à parler à un Anglais, à un Allemand de l’insignifiance de la rime, ou de sa suppression. En poésie française, la rime, plus encore que dans toute poésie moderne, représente, incarne donc la vie. Elle lui est aussi indispensable que la couleur à la fleur, que la transparence à l’eau de roche, que la taille à un diamant ; elle est plus et mieux que son âme, puisque certains botanistes ont accordé une âme à la plante : elle est, par excellence, la conscience musicale et mentale du vers.