Page:Bibesco - La Question du vers français, 1896, éd3.djvu/34

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les Provençaux, tous les Languedociens, tous les Gascons, et même, proh pudor ! quelques Auvergnats. « Charabia dialectal ! » s’écriera sans doute mon éminent adversaire. Pourquoi ce cri de dédain lancé par vingt ou vingt-un millions de bouches parlant l’oïl, à quinze ou seize millions de lèvres parlant l’oc ? L’oïl est-il autre chose qu’un pur dialecte primitif, que le seul hasard, la chance d’être parlé par l’Île de France, par Paris, par les Capétiens, a érigé en dialecte conquérant, dominateur, et s’imposant, petit à petit, par la force à tout le pays comme idiome national ? D’ailleurs la prononciation de l’oc est-elle si choquante, si dénaturante ? Plus voisins de l’Italie et de l’Espagne que leurs frères du nord et du centre, ne possédant que des demi-muettes, à l’instar de leurs frères du sud, ils éprouvent le besoin d’élever davantage la voix sur les syllabes faibles de leur dialecte qui n’a que des demi-muettes, et ils transportent leur prononciation sur les muettes françaises. Et ils ont doublement raison au fond : car leur procédé a l’avantage d’une sonorité plus grande et d’une fidélité bien plus stricte aux lois de l’étymologie. Entre un méridional cultivé et un décadent récitant l’alexandrin classique, pour ma part, je n’hésiterais pas. Le premier n’aurait que le tort de trop accentuer la mesure, mais le second commettrait le crime de l’estropier. Et pour en finir avec cette réhabilitation phonétique de l’oc, M. Psichari a-t-il songé à l’arme terrible que les méridionaux ont toujours dans leur arsenal ? A-t-il jamais examiné les règles de la prosodie musicale ? Ces règles, jusqu’ici immuables, donnent aux e muets une place si prépondérante, que ces finales correspondent chacune non seulement toujours à une note, mais souvent même au temps fort de la