Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/32

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une frayeur extrême et le soir, rentré à la colonie, il perdit connaissance et eut des crises. Les attaques se renouvelèrent ; il survint enfin une paralysie des membres inférieurs, l’intelligence restant intacte.

« En mars 1880, il fut transféré à l’asile de Bonneval (Eure-et-Loir). Là, on constate que le malade a la physionomie ouverte et sympathique, que son caractère est doux, qu’il se montre reconnaissant des soins qu’on a pour lui. Il raconte l’histoire de sa vie avec les détails les plus circonstanciés, même ses vols qu’il déplore, dont il est honteux ; il s’en prend à son abandon, à ses camarades qui l’entraînaient au mal. Il regrette fort ce passé et affirme qu’à l’avenir il sera plus honnête. Il sait lire, écrire à peu près. On se décide à lui apprendre un état compatible avec sa paraplégie, son infirmité. On le porte tous les matins à l’atelier des tailleurs ; on l’installe sur une table où il prend naturellement la posture classique, grâce à la position de ses membres inférieurs paralysés et contracturés. Au bout de deux mois, V… sait coudre assez bien ; il travaille avec zèle, on est satisfait de ses progrès. Un jour, il est pris d’une crise qui dure cinquante heures, à la suite de laquelle il n’est plus paralysé. Au réveil, V… veut se lever. Il demande ses habits, et il réussit à se vêtir, tout en étant fort maladroit ; puis il fait quelques pas dans la salle ; la paralysie des jambes a disparu.

« Une fois habillé, il demande à aller avec ses camarades aux travaux de culture. On s’aperçoit vite qu’il se croit encore à Saint-Urbain, et qu’il veut reprendre ses occupations habituelles. En effet, il n’a aucun souvenir de sa crise et il ne reconnaît personne, pas plus le médecin et les infirmiers que ses camarades du dortoir. Il n’admet pas avoir été paralysé et dit qu’on se moque de lui. On pense à un état vésanique passager très supposable après une forte attaque hystérique, mais le temps s’écoule et la mémoire ne revient pas. V… se rappelle bien qu’il a été envoyé à Saint-Urbain, il sait que l’autre jour, il a eu peur d’un serpent, mais à partir de ce moment il y a une lacune. Il ne