Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/95

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expériences consiste à lui cacher la vue de son bras anesthésique en le ramenant derrière son dos ou en faisant usage d’un écran. Les choses étant ainsi disposées, il est facile — au moins dans certains cas — de provoquer, à l’insu du malade, dans son membre insensible des mouvements intelligents[1].

Nous allons assister à l’éveil d’une intelligence inconsciente ; nous pourrons même entrer en communication avec elle et la diriger, entretenir avec elle une conversation suivie, mesurer l’étendue de sa mémoire et l’acuité de ses perceptions.

L’existence de phénomènes inconscients chez les hystériques n’est pas faite pour nous étonner, car chacun de nous peut, en se surveillant avec un soin suffisant, surprendre des séries d’actes automatiques, exécutés sans volonté et sans conscience. Marcher, s’asseoir, tourner la page d’un livre, sont des actes que nous exécutons sans y penser ; mais il est assez difficile d’étudier chez l’homme normal l’activité inconsciente ; et de plus, cette activité se montre surtout routinière, faite d’habitudes, vivant de répétitions ; en général, elle invente peu, parfois elle paraît juger et raisonner, mais ce sont des jugements et des raisonnements anciens qu’elle répète ; en tout cas, elle acquiert rarement un développement notable, et presque jamais, peut-on dire, elle ne s’élève à la dignité d’une personnalité indépendante. Les conditions d’étude sont bien

  1. L’étude de ces dissociations a été faite pour la première fois par M. Féré et par moi. (Arch. de phys., octobre 1887.) J’ai ensuite poursuivi seul les recherches, et mes principaux articles ont paru dans la Revue philosophique (mai 1888, février et avril 1889, février et août 1890), dans Open Court (année 1889, passim), et dans le Mind (janvier 1890). Il est important de remarquer qu’antérieurement à ces diverses publications M. Pierre Janet, M. Myers et M. Gurney, pour ne citer que les principaux auteurs, avaient déjà exposé une théorie de la désagrégation mentale, avec de nombreuses expériences à l’appui. Si dans mon exposition je ne suis par l’ordre historique, c’est que je crois que nos expériences sont plus aptes que les autres à donner tout de suite une démonstration expérimentale très simple de la double conscience. Je saisis cette occasion pour adresser mes plus vifs remerciements à M. Charcot qui a bien voulu me permettre de travailler pendant de longues années dans son service de la Salpêtrière.