Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/108

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de tant d’écrivains qui se sont occupés de cet homme illustre, pas un n’ait éclairci des faits qui pourtant occupent une place assez marquante dans l’histoire de sa vie? La plupart de ses biographes avancent qu’en 1582 il fut nommé par Rodolphe II son ambassadeur à la cour de Henri III; nous avons de fortes raisons de douter de l’exactitude de ce fait[1] : les lettres de Busbecq, des années 1582 à 1585, sur lesquelles on l’appuie, nous paraissent être plutôt d’un nouvelliste que d’un diplomate revêtu d’un caractère officiel[2]. Busbecq resta en France tant que vécut la reine Élisabeth. Cette princesse étant morte en 1592, il n’avait plus rien à y faire; il sollicita et obtint de l’Empereur la permission d’aller finir ses jours dans sa patrie. Ayant commencé son voyage par la Normandie, et quoiqu’il se fût muni de passeports aussi bien des chefs de la Ligue que du roi, il fut assailli par un parti de ligueurs dans le village de Cailly, à trois lieues de Rouen. Les assaillants, à la vérité, dès qu’il leur eut exhibé ses passe-ports, lui laissèrent continuer sa route; mais la secousse qu’il avait éprouvée de cet événement lui donna une fièvre violente. Il se fit transporter au château de Maillot, à Saint-Germain, près de Rouen, où, après huit jours de maladie, il mourut, comme nous l’avons dit, le 28 octobre 1592, à l’âge de soixante-dix ans. Son corps fut enterré avec pompe dans l’église du lieu; Juste-Lipse, qui lui avait dédié ses Saturnales, fit l’épitaphe qu’on grava quelque temps après sur sa tombe. Son cœur, précieusement renfermé en une boîte de plomb remplie d’arômes, fut porté dans son pays natal, et déposé dans le caveau de sa famille, à l’église de Saint-Martin, à Bousbecque. On voit encore, en cette église, le somptueux mausolée que, après la mort de son père, Busbecq fit ériger, pour recevoir sa dépouille mortelle.

Busbecq passe, à juste titre, pour un des négociateurs les plus habiles de son temps; c’est à lui, à Corneille Scepperus, de Nieuport, et à Charles Rym, de Gand, que faisait allusion l’empereur Maximilien II, lorsqu’il disait : « Les ambassadeurs flamands sont presque les seuls dont les négociations aient été utiles à l’empire d’Allemagne. » Il n’était pas seulement un diplomate consommé; il était aussi un des hommes les plus doctes d’une époque féconde en savants illustres; il parlait sept langues, le latin, l’italien, l’espagnol, le français, l’allemand, le flamand, l’esclavon; aucune des branches des connaissances humaines ne lui était étrangère; il voulait tout savoir, tout approfondir. Pendant son séjour en Turquie, il rassembla près de deux cent cinquante manuscrits grecs dont il donna une partie à la bibliothèque impériale érigée dans le palais du Burg, à Vienne; il recueillit aussi des médailles antiques qu’il offrit en présent à l’empereur Ferdinand Ier, et quantité d’inscriptions grecques qu’il communiqua à André Schott, à Clusius, à Juste Lipse et à Gruter; enfin il eut l’honneur de retrouver l’inscription du fameux mo-

  1. Dans sa relation de France faite au sénat de Venise le 5 juin 1582, Lorenzo Priuli, après avoir dit que la cour de France ne tient pas grand compte de l’Empereur à cause de sa faiblesse, qu’elle l’aime peu, parce qu’il est sous la dépendance de l’Espagne et qu’il donne la préséance aux ambassadeurs de cette couronne sur tous les autres, ajoute : « De manière qu’au jourd’hui le roi de France a seulement un agent près l’Empereur, et l’Empereur n’a en France ni ambassadeur ni agent» « Di modo che il re di Francia tiene ora solamente un suo agente presso Pimperatore, et l’imparatore non tiene in Francia nè ambasciatore nè agente » (Relazioni degli ambasciatori Veneti al Senato. I, t. IV, p.442). Cet état de choses existait déjà depuis plusieurs années, comme nous l’apprend la relation de 1579 de Girolamo Lippomano (Ibid., Append., p 67), et il se prolongea probablement longtemps encore. Ajoutons que, dans dès lettres de sauvegarde pour les terres et seigneuries de Busbecq données par Alexandre Farnèse le 15 octobre 1588 et que M. Rouziére a publiées, lettres où sont cités les titres de Busbecq ainsi que les services rendus par lui à la maison d’Autriche, il n’est pas dit qu’il soit ou ait été ambassadeur de l’empereur Rodolphe en France, mais seulement qu’il l’a servi « en diverses charges et qualités, ainsi qu’il fait encore à présent à la royne douairière Elisabeth; » enfin que, dans les patentes des Archiducs du 30 septembre 1600 portant érection en baronnie de la terre de Busbecq, ces princes rappellent seulement que Busbecq fut « conseiller de l’empereur. Maximilien, grand maître d’hôtel de la reine douairière de France, et par deux fois ambassadeur de l’Empereur vers le Turc. »
  2. Il suffit de les parcourir pour s’en convaincre. Dans aucune il n’est question d’affaires que Bubecq aurait traitées avec Henri III ou avec ses ministres.