Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/321

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il s’y rendit au mois d’octobre. Ces cortès sont célèbres dans l’histoire d’Espagne par les discussions dont nous parlerons tout à l’heure, mais surtout par cette circonstance que ce furent les dernières auxquelles intervinrent les trois états du royaume, le clergé, la noblesse et les procuradores des villes. L’ouverture s’en fit le 1er novembre 1538. Il fut donné lecture à l’assemblée d’un long exposé des guerres que l’empereur avait eu à soutenir contre sa volonté, des dépenses extraordinaires qu’elles avaient entraînées, et de l’impossibilité où il se trouverait de faire face aux besoins de la monarchie, si les représentants de la nation ne lui en donnaient le moyen : il demandait que les cortès autorisassent la levée d’un impôt sur les objets de consommation (sisa), comme étant celui qui procurerait le plus de ressources au trésor sans être onéreux au peuple. L’état ecclésiastique vota cet impôt, à condition qu’il ne fût perçu que pendant un certain temps, qu’il fût modéré et qu’on restreignît autant que possible le nombre des objets qui y seraient soumis. L’ordre de la noblesse ne suivit pas cet exemple; il se montra, au contraire, presque unanimement opposé à la demande de l’empereur. Le connétable de Castille, don Iñigo Fernandez de Velasco, le même qui avait combattu et défait les comuneros à Villalar, était principalement celui qui n’en voulait pas entendre parler. Après beaucoup de débats entre les ministres et les commissaires nommés par l’état noble, Charles, voyant qu’il ne pouvait vaincre la résistance de celui-ci, se décida à dissoudre les cortès (1er février 1539); il s’adressa aux villes en particulier, afin qu’elles le secourussent. A partir de cette époque, les grands et les gentilshommes de Castille ne furent plus convoqués aux assemblées nationales, sous le prétexte que ceux qui étaient exempts des impôts ne pouvaient être appelés à les voter.

Sandoval rapporte que, quelque temps après la session des cortès, l’empereur, étant allé à la chasse au Pardo, près de Madrid, et s’étant égaré, rencontra un vieux laboureur avec lequel il entra en conversation. Comme il voulut savoir combien de rois l’homme des champs avait connus, celui-ci lui répondit qu’il en avait connu cinq, Jean II, Henri, Ferdinand, Philippe et le roi régnant Charles. L’empereur lui ayant demandé quel avait été le meilleur et le plus mauvais de ces rois : « Pour le meilleur, — repartit le vieillard — il n’y a aucun doute; ç’a été le roi Ferdinand qu’avec raison on a nommé le Catholique. Quant au plus mauvais, par ma foi, celui que nous avons maintenant est très-mauvais : il ne nous laisse pas tranquilles; il ne l’est pas lui-même, allant tantôt en Italie, tantôt en Allemagne, tantôt aux Pays-Bas, abandonnant sa femme et ses enfants et emportant tout l’argent de ces royaumes : si encore les revenus qu’il en tire et les trésors des Indes lui suffisaient! mais il ne s’en contente pas et il impose des tributs qui ruinent les pauvres laboureurs. Plût à Dieu qu’il fût seulement roi d’Espagne! » Charles, loin de se fâcher de la liberté de ce langage, fit observer à son interlocuteur que l’empereur était obligé de défendre la chrétienté contre ses ennemis, ce qui entraînait des dépensée excessives, lesquelles ne pouvaient être couvertes par les revenus ordinaires du royaume; il ajouta que l’empereur était très-attaché à sa femme et à ses enfants; que, s’il les quittait, c’était bien à regret et parce qu’il y était forcé. En ce moment des personnes de sa suite, qui le cherchaient, s’approchèrent. Le laboureur, voyant le respect qu’elles lui témoignaient toutes, dit à l’empereur : « Seriez-vous le roi? Pour Dieu, si je l’avais su, je vous en aurais dit bien d’autres. » Charles, riant, le remercia de la franchise avec laquelle il lui avait parlé, et le pria d’accepter les raisons qu’il lui avait données pour sa décharge. Ils ne se séparèrent pas sans que le vieillard reçût des marques de la libéralité du prince sut lequel il avait porté un jugement si sévère[1].

Le 21 avril 1539, à Tolède, l’impéra-

  1. Historia de Carlos Quinto, liv. XXIV, § X.