Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/361

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c’est avec beaucoup de difficulté qu’après un traitement de six semaines, il peut monter dans une litière qui doit l’y transporter. Le pauvre prince « — écrivait l’ambassadeur de Venise Bernardo Navagero, qui était présent à son départ — a exité la compassion de tous ceux qui l’ont vu, tant il était faible, pâle et en mauvais état[1]. » À Bruxelles un nouvel accès de goutte, qui l’atteint en même temps à l’épaule, au bras, à la main et au pied, se déclare le 1er février ; il est tout aussi violent et ne dure pas moins que celui qui l’a précédé. Entré en convalescence vers le milieu de mars, l’auguste malade, quoique bien faible encore, veut s’occuper des affaires publiques ; le 25 il reçoit cet ambassadeur de Venise dont nous avons tout à l’heure cité les paroles. Navagero mande au doge qu’il l’a trouvé très-maigre et très-pâle. « Il avait au cou — ajoute-t-il — une bande de taffetas noir, qui lui sert, je suppose, à appuyer le bras gauche. Les doigts de la main m’ont paru fort amaigris et fort dissemblables à ce que j’en ai vu d’autres fois. Il était assis et appuyé à une petite table couverte de velours noir placée devant lui[2]. »

Aux douleurs physiques qui étaient venues assaillir Charles-Quint se joignait la peine d’esprit où le mettait la déclaration qu’il avait à donner sur l’alternative énoncée dans le traité de Crépy. Aussitôt après la conclusion de la paix, il avait envoyé en Espagne le secrétaire Alonso de Idiaquez, pour lui rapporter l’opinion du prince et celle de ses ministres au sujet de cette alternative ; il en avait écrit au roi des Romains ; il avait consulté les principaux seigneurs des Pays-Bas. Ceux-ci s’étaient prononcés contre l’aliénation de la Belgique, en exprimant le vœu que l’empereur prît les arrangements nécessaires pour qu’il pût, ou le prince son fils, y résider habituellement. Le roi Ferdinand s’y était montré plus opposé encore : la donation des Pays-Bas aurait eu, à ses yeux, des inconvénients extrêmement graves pour l’empereur, pour ses enfants, pour sa maison et pour ses autres États. Quant à l’opinion du prince et du conseil d’Espagne, chose étrange ! l’histoire ne l’a pas fait connaître. Après bien des hésitations (car la cession du Milanais pouvait avoir des conséquences redoutables pour la domination espagnole en Italie), Charles se décide à donner au duc d’Orleans aà seconde fille de son frère ; un courrier parti de Bruxelles le 23 mars 1545 ; et qui arrive le 30 à Amboise, où était la cour de France, en porte la notification à son ambassadeur le sieur de Saint-Mauris. Elle est bien accueillie par François Ier, quoique, sans aucun doute, ce monarque eût mieux aimé que son petit-fils fût appelé à régner sur les Pays-Bas : il en fait remercier l’empereur en son nom et en celui du prince. Le duc d’Orléans vient l’en remercier en personne ; il arrive, le 24 avril, à Anvers, où l’empereur était venu de Bruxelles : Charles le reçoit avec toute sorte de démonstrations d’amitié, auxquelles il répond par de grandes marques de respect. Le jeune prince passe cinq jours à la cour du monarque qui doit devenir son oncle[3].

Suivant l’engagement qu’il en avait pris, Charles avait convoqué les états de l’Empire à Worms. La goutte l’ayant retenu à Gand d’abord et ensuite à Bruxelles, il avait envoye à la diète, en qualité de ses commissaires, le seigneur de Granvelle, l’évêque d’Arras son fils et le vice-chancelier de Naves. Le 30 avril, s’étant séparé, à Lierre, de la reine Marie et du duc d’Orléans, il prit le chemin de l’Allemagne. Il fit son entrée à Worms le 16 mai, escorté de six cents chevaux des bandes d’ordonnance des Pays-Bas. Le jour suivant arriva dans la ville impériale le cardinal Farnèse, député de nouveau vers lui par le pape. Les rapports de Charles-Quint avec Paul III étaient loin de s’être améliorés depuis l’entrevue de Creuznach. Au moment où la paix de Crépy venait d’être conclue, le pape dépêchait à Bruxelles un de ses camériers porteur d’un bref dans lequel

  1. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 71-78.
  2. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, p. 69.
  3. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 70-71.