Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/385

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Leipsick, avec Maurice et le marquis Joachim de Brandebourg, qui avaient consenti à servir de médiateurs entre lui et l’empereur : les propositions que ces princes rapportèrent de sa part au camp impérial ne furent pas jugées plus acceptables que les précédentes, et Charles invita les médiateurs à rompre les négociations; en même temps il résolut de marcher vers les pays du landgrave, afin de lui faire voir qu’il avait en main des forces suffisantes pour le mettre à la raison[1]. Le 2 juin il leva son camp de devant Wittenberg et repassa l’Elbe, prenant le chemin de Halle-sur-Saale : le roi son frère était parti pour la Bohême avec ses troupes huit jours auparavant. Le 4, en présence de l’électeur de Brandebourg, de l’archiduc Maximilien et de plusieurs autres princes, Charles déclara publiquement le duc Maurice électeur de Saxe au lieu et place de Jean-Frédéric. L’artificieux Maurice le remercia avec humilité, disant que, s’il avait fait la guerre à son cousin, ce n’était pas qu’il aspirât à la dignité électorale, qu’il la lui avait faite pour remplir ses obligations envers l’empereur et le roi des Romains, auxquels son cousin était désobéissant et rebelle. Il témoigna sa gratitude de la faveur que recevait sa maison par la conservation de cette dignité, et de la miséricorde qu’avait montrée l’empereur envers l’électeur déchu, en ne lui faisant point trancher la tête. Le jour suivant il entra dans Wittenberg[2], Charles, après l’avoir mis en possession de l’objet de tous ses vœux, avait continué sa route; il arriva le 10 à Halle. Le 13 le duc Ernest de Brunswick comparut devant lui et accomplit l’acte d’humiliation auquel le traité de Wittenberg l’obligeait[3].

Cependant le landgrave, convaincu qu’il ne pourrait résister à la puissance de l’empereur, s’était résigné à subir la loi de la nécessité; il avait autorisé le duc Maurice et le marquis Joachim à soucrire, en son nom, à tout ce qu’on exigeait de lui. Par le traité que ces princes conclurent avec les ministres impériaux, Philippe de Hesse remettait entièrement sa personne et ses États au pouvoir de l’empereur. Il s’engageait à venir le trouver et à lui demander pardon à genoux; à lui rendre à l’avenir toute obéissance; à observer ponctuellement les décrets qui seraient faits par lui pour le bien de la chose publique; à déférer aux jugements de la chambre impériale et à contribuer à l’entretien de cette chambre; à renoncer à toute ligue et nommément à celle de Smalkalde; à ne contracter aucune nouvelle alliance dans laquelle ne seraient pas compris l’empereur et le roi des Romains; à punir sévèrement ceux de ses sujets, qui, dans la suite, porteraient les armes contre l’un ou l’autre de ces deux monarques; à payer à l’empereur, pour les frais de la guerre, cent cinquante mille écus d’or et à lui délivrer toute son artillerie; à faire raser ses citadelles, à la réserve de Ziegenhain et de Cassel; à mettre en liberté le duc Henri de Brunswick et le prince son fils; à restituer au duc son pays et transiger avec lui pour le dommage qu’il lui avait causé; à restituer de même au grand-maître de Prusse et aux autres ce dont il les avait dépouillés; enfin à faire ratifier toutes ces stipulations par ses enfants, ainsi que par sa noblesse et son peuple[4].

Maurice et Joachim engagèrent le landgrave à venir sans délai à Halle. En annonçant à l’empereur que ce prince se rendait à sa discrétion, gnade und ungnade, ils l’avaient prié de leur donner une déclaration, qui serait pour eux seuls, sur la portée de l’ungnade. Condescendant à leur désir, Charles leur avait délivré un écrit en allemand, signé de sa main[5], où il promettait que le

  1. Lettre de Charles à Ferdinand du 1er juin 1547, dans Lanz, t. II, p. 572. — Relation de ce qui s’est passé au sujet de la prinse du landgrave de Hesse, Lanz, t. II, p. 589.
       L’évêque d’Arras écrivait à la reine Marie, le 20 mai, du camp devant Wittenherg : « S M. est délibérée..... passer outre contre le landgrave, en cas qu’il ce viengne en appointement, comme il se démonstre fort désirer et en fait grande instance le duc Mauris..... » (Arch. impér. à Vienne.)
  2. Journal de Vandenesse.
  3. Journal de Vandenesse.
  4. SIeidan, t. II. p. 420.
  5. Dans la Relation de ce qui s’est passé, etc., (p. 592), on lit que les deux électeurs eux-mêmes « firent dresser » cet écrit, et qu’il fut « accepté par l’empereur, sans y adjouter ny diminuer une syllabe. »
       Si cela est vrai, comme il y a lieu de le croire, — surtout en présence des pièces que donne Bucholtz (Geschichte der Regierung Ferdinand des Ersten, t. IX, pp. 423 et 426), c’est-à-dire des articles d’accommodement que Maurice et Joachim proposèrent à l’empereur le 2 juin, et de la lettre écrite par Charles au roi Ferdinand le 12 — la conduite de ces princes parait encore plus inexplicable.
       On a accusé le cardinal de Granvelle, sans que jamais on en ait administré la preuve, d’avoir, dans l’écrit que signa l’empereur, substitué au mot einige (aucune) celui de ewige (perpétuelle). Mais comment une aussi audacieuse et aussi indigne supercherie aurait-elle échappé aux deux princes, lorsque cet écrit leur fut délivré?