Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/387

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vice-chancelier de l’Empire Seldt[1], que, quoiqu’il eût sujet de condamner le landgrave à la peine la plus griève, il voulait bien, prenant égard à son repentir et à sa soumission, ainsi qu’aux prières de plusieurs princes de l’Allemagne, user envers lui de son accoutumée et naturelle clémence ; qu’il consentait à révoquer le ban contre lui publié, lui remettait la peine de mort qu’il avait encourue par sa rébellion, et l’assurait qu’il ne subirait d’emprisonnement et de perte de ses biens que selon les termes du traité qui venait d’être conclu[2]. Le landgrave, qui était resté à genoux pendant les deux allocutions, se leva sur un signe de l’empereur, après avoir fait entendre quelques paroles de remerciment[3]. Les deux princes ses intercesseurs auraient désiré que l’empereur lui donnât la main, comme il avait l’habitude d’en user avec ceux à qu’il faisait grâce ; mais cette faveur ne lui fut pas accordée[4].

La cérémonie terminée, le duc d’Albe pria le landgrave et les deux électeurs à souper au château, où il était logé. Après le repas et comme les convives allaient se retirer, le duc annonça au landgrave qu’il avait ordre de le retenir prisonnier ; il chargea de veiller sur lui le capitaine espagnol don Juan de Guevarra. Le landgrave se récria vivement ; les deux électeurs protestèrent, disant qu’ils avaient entendu que ce prince ne serait pas mis en prison, et qu’ils lui en avaient donné l’assurance. On appela l’évêque d’Arras, qui avait été pour l’empereur le principal négociateur du traité. Perrenot discuta avec les électeurs jusqu’à deux heures du matin ; il s’efforça de les convaincre de leur tort : ils finirent par déclarer que, n’étant pas des docteurs, ils n’avaient pas bien compris l’écrit de l’empereur, et ils demandèrent qu’en considération de leur honneur, qui leur était si cher, le landgrave fût remis entre leurs mains, s’engageant à ne l’en laisser sortir que lorsqu’il aurait accompli toutes les stipulations du traité. Charles, à qui le lendemain l’évêque d’Arras rapporta ce qui s’était passé la nuit, fut très-blessé de ce que sa fidélité à tenir sa parole avait été mise en dispute : il fit dire aux deux électeurs qu’il voulait qu’avant tout on vidât la question de savoir si, par ce qui avait été convenu et accepté, de part et d’autre, il pouvait ou non retenir prisonnier le landgrave, et si eux avaient pu lui promettre le contraire[5]. Le marquis Joachim et le duc Maurice, assistés d’un de leurs conseillers, s’assemblèrent avec les ministres impériaux ; l’instrument du traité, l’écrit particulier de l’empereur furent examinés et débattus. A la suite d’une longue discussion, les deux princes convinrent, « et ils le répétèrent par trois fois », que sans nul contredit l’empereur pouvait détenir prisonnier le landgrave le temps qu’il lui plairait, pourvu que la prison ne fût pas perpétuelle ; ils dirent même qu’ils seraient les premiers à le soutenir contre quiconque prétendrait qu’il n’en fût pas ainsi : avouant que, s’il y avait eu en cela quelque malentendu, c’était à eux que la faute devait être imputée[6]. Le marquis et le duc, ayant eu audience de l’empereur, lui confirmèrent ce langage ; ils le supplièrent d’excuser ce qu’ils avaient fait, l’abréger la durée de l’emprisonnement du landgrave et d’en

  1. Le vice-chancelier de Naves était mort au mois de février précédent. L’empereur l’avait remplacé par Georges-Sigismond Seldt.
  2. Archives impériales à Vienne.
  3. L’envoyé de Côme de Médicis rapporte en quelques mots l’allocution du vice-chancelier de l’empire, et il ajoute : Alle quali parole havendo reso lantgravio quelle gratie che si convenivano, etc.
  4. Lettre de l’evêque d’Arras du 20 juin et Relation de ce qui s’est passé, etc., déjà citées. — Lettre de Charles à Ferdinand du 23 juin, dans Bucholz, t. IX, p. 429.
  5. Il déclara, à cette occasion, que plutôt que de faillir à sa parole, il était prêt à rompre le traité fait avec le landgrave, à le mettre en liberté et à reprendre les opérations militaires contre lui, « nonobstant le temps et l’occasion perdue, encoires qu’il luy deust couster ung royaulme. » (Relation de ce qui s’est passé, etc., p. 594.)
  6. L’envoyé de Côme de Médicis à la cour impériale lui écrivait le 22 juin 1547 : « Les électeurs de Brandebourg et de Saxe, ayant reconnu que la faute en est à eux, pour n’avoir pas bien interprêté la concession de la grâce que l’empereur leur fait en dispensant le landgrave d’un emprisonnement perpétuel seulement, se sont apaisés, et, convaincus de leur erreur, ils ont maintenant recours aux prières » (Mauritio et l’elettore Brandeburgh….. fatti chiari che ’l defetto è d’ambi duvi, per non havere interpretato bene la concessione della gratia che Cesare gli fa della perpetua carcere solamente, si sono acquietati….. et conosciuto el loro errore, si son voltati alle preghiere).