Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/429

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aussi graves et qui devaient éveiller toute l’attention de Charles et de ses ministres, les trouvèrent, pour ainsi dire, indifférents, tant elles leur parurent invraisemblables : l’empereur envoya néanmoins, afin de s’en éclaircir, des personnes de confiance en diverses parties de l’Allemagne; mais comme celles-ci ne parvinrent à rien découvrir, il demeura persuadé que la conspiration qui lui avait été signalée par son ambassadeur était imaginaire[1]. Des historiens ont, à ce sujet, prêté des propos ridicules à Granvelle; ils lui font dire qu’il n’était pas possible que des têtes allemandes, toujours prises de vin, conçussent des projets qu’il ne fût aisé de pénétrer[2]. La confiance de ce ministre et de son maître apposait sur d’autres motifs : ils ne jugeaient pas Maurice (l’événement montra combien ils se trompaient) capable de grandes entreprises; ils savaient que ses ressources financières étaient médiocres, que ses sujets de Saxe ne l’aimaient point; ils étaient convaincus surtout que la crainte de voir l’empereur mettre en liberté le duc Jean-Frédéric l’empêcherait toujours de se déclarer contre lui[3].

Le 5 octobre 1551, Maurice, en son nom et en ceux de Georges-Frédéric, marquis de Brandebourg, son pupille, de Jean-Albert, duc de Mecklembourg, et de Guillaume de Hesse, signa, avec l’évêque de Bayonne, muni des pleins pouvoirs du roi de France, un traité par lequel les parties contractantes s’engageaient à déclarer la guerre à l’empereur. Le soutien de la religion protestante, la liberté de l’Allemagne et la délivrance du landgrave Philippe étaient le but de leur alliance. Le roi s’obligeait à payer, avant le 25 février 1552, deux cent quarante mille écus, qui serviraient à couvrir les dépenses des trois premiers mois de la guerre, et chacun des mois suivants soixante mille écus. Les confédérés allemands lèveraient sept mille chevaux et autant de gens de pied qu’il serait jugé nécessaire; l’électeur Maurice aurait le commandement en chef de ces troupes. Il ne serait fait de paix ni de trève avec l’empereur que de commun accord. Le roi tâcherait de se saisir de Cambrai, de Metz, de Toul et de Verdun; il les garderait comme vicaire de l’Empire; en même temps il attaquerait les Pays-Bas. Maurice marcherait droit vers la personne de l’empereur. Lui et les princes pour lesquels il se portait fort promettaient, si le succès couronnait leur entreprise, d’aider le roi à recouvrer les seigneuries patrimoniales qu’il avait perdues, et même, au cas qu’il prétendît à l’empire, de favoriser son élection de tout leur pouvoir[4]. Le plus profond mystère enveloppa la conclusion de ce traité. Peu de temps après, Maurice amena la ville de Magdebourg à lui ouvrir ses portes, en accordant aux habitants des conditions plus favorables que celles auxquelles ils devaient s’attendre; il fit son entrée dans cette ville le 16 novembre, aux applaudissements de la population, qui le proclama son burgrave. Pour continuer à endormir l’empereur, il lui avait offert d’aller lui rendre compte des particularités du siége qui venait de finir[5]; Charles se laissa abuser par cette offre insidieuse : on a vu qu’il avait annoncé la prochaine arrivée de l’électeur de Saxe aux ambassadeurs envoyés vers lui pour réclamer la délivrance du landgrave. Une circonstance aurait dû pourtant faire naître la défiance dans son esprit : un des principaux ministres de Maurice, Christophe Carlowitz, écrivait à Granvelle que, si l’on désirait la pré-

  1. Lettres de Granvelle à la reine Marie, des 4, 10 et 11 septembre 1551. (Archives du royaume.)
  2. Robertson, t. II, p. 333. — Sismondi, t. XII, p. 206. — Kolrausch, Histoire d’Allemagne, p. 274.
  3. « Quant au duc Mauritz, ... pour dire la vérité, je ne m’assheure trop de sa voulenté... Ce qui me donne plus d’espoir qu’il n’osera mouvoir tant à la descouverte contre S. M., est que pour conduyte c’est fort peu de chose, et est crainctiff pour faire grande emprinse, ny est argenteux pour pourter grands fraiz, et est si mal voulsu en Saxe, et craindra que l’on ne délivre le duc Jo. Frédéric, lequel, tout destruict qu’il est, pourroit, avec son crédit en ce quartier-là, ayséement déchasser ledict duc... »(Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 14 juin 1551, aux Archives du royaume.)
       Le 9 décembre précédent, Granvelle écrivait à la reine : « La crainte qu’ils ont de la délivrance du duc de Saxe est incrédible. » (Ibid.)
  4. Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. III, p. 31.
  5. Lettre de Charles-Quint à la reine Marie du 18 novembre 1551. (Archives du royaume.)