Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/447

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question des choses depuis longtemps décidées par des traités solennels; que ce roi avait usé à son égard des procédés les plus indignes, soulevant ses sujets et envahissant ses pays patrimoniaux; qu’il n’avait eu aucun scrupule d’appeler les Turcs et de s’allier avec eux, quoiqu’il fît profession d’être chrétien et se fît appeler roi très-chrétien[1]; qu’il n’y avait pas d’accommodement avec lui sur lequel on pût se fier; que par conséquent il aimait mieux continuer la guerre, car il ne perdait rien en la continuant, et s’il venait à perdre, il le supporterait avec plus de patience qu’en se voyant assassiné au moment où il devait le moins s’y attendre[2]. Il permit toutefois que le légat communiquât plus particulièrement avec l’évêque d’Arras de ce que le cardinal de Saint-Georges lui avait écrit. Le reste de l’entrevue, se passa en compliments. Le cardinal d’Imola, on se le rappelle, avait été envoyé à Charles-Quint en 1551; dans la dépêche où il rend compte au pape de l’audience qui vient de lui être accordée, il dit qu’il a trouvé peu de différence entre l’état actuel de l’empereur et celui où il le laissa à Augsbourg; que, s’il y en a une, elle est plutôt à son avantage; qu’à la vérité une certaine pâleur est empreinte sur ses traits, mais qu’il y a longtemps déjà qu’on la remarque; que, du reste, il écoute et il parle avec autant d’attention et de gravité qu’il l’a jamais fait[3]. Et il ajoute dans un billet en chiffres joint à sa dépêche : « Selon mon jugement, ceux qui comptent sur la mort prochaine dé l’empereur s’abusent, à moins que Dieu n’en ait autrement disposé, et que Sa Majesté, par des excès de bouche auxquels on dit qu’elle s’abandonne souvent, et par l’usage d’aliments malsains, ne donne lieu elle-même à quelque accident soudain[4]. »

Le 10 juin le légat conféra avec l’évêque d’Arras sur les propositions envoyées par le cardinal de Saint-Georges. Granvelle lui dit, après les avoir examinées, qu’il les regardait comme inadmissibles; que si une paix honorable et sûre se pouvait faire, l’empereur y donnerait les mains avec empressement, mais que, plutôt que de consentir à quelque chose qui fût indigne de lui, Sa Sainteté et tout le monde devaient être certains qu’il mangerait de la terre et vendrait tout ce qu’il possédait; que, si ses sujets pâtissaient, il pâtirait avec eux, et qu’ils se consoleraient en se convainquant que la faute ne lui en pouvait être imputée[5]. Le lendemain Charles assembla son conseil[6]; à la suite d’une mûre délibéra-

  1. « Ancora che facesse professione di christiano et si facesse chiamare christianissimo. » (Dépêche du 10 juin déjà citée.)
  2. « ..... Che stante questo credeva che le fusse meglio starse in guerra, perchè con quella non perdeva niente, et perdendo le haveva da rincrescere manco e portarlo con più patientia che non poteva fare vedendosi assessinato quanto manco lo doveva aspettare..... » (Ibid.)
  3. « ..... Per la memoria che io posso havere conservata del termine nel quale lasciai S. M., mò son dui anni, parmi che vi si possa fare poca differencia, et che se vi è vantaggio, è nello stato presente, nel quale si conosce solamente una certa pallidezza nel viso di S. M., ma però fatta come naturale da molti anni in qui : nel resto ascolta et parla cosi acuratamente et gravemente com’io l’habbia sentita mai..... »
  4. « ..... A mio giuditio s’inganna chi fa fondemente sulla sua morte ancor per un pezzo, se già Dio non havesse disposto altrimente, et Sua Maestà col disordine che dicono che fa spesse volte col troppo mangiare et cose triste, non si desse causa di qualche repentino accidente..... »
       Dans une dépêche du 12 juin le cardinal s’exprime d’une manière plus positive sur l’intempérance de Charles-Quint : « C’est une chose incroyable — dit-il — que les désordres de bouche de S. M., aussi bien par la qualité que par la quantité des mots dont elle use; et l’on ne peut douter que par-là non-seulement elle ne mette sa vie en danger, mais encore elle ne se rende incapable tant d’exécuter quelque entreprise que de la conseiller et de la diriger (Le cose triste que S. M. mangia cosi in qualità come in quantità, è cosa da non credere; et questo come è verissimo, non si ha da dubitare che sempre la terrà non solo in pericolo ma con perpetua inhabilità cosi circa l’opérare come circa il consigliare et commandare.....) »
  5. « ..... Che se pace honesta et stabile si poteva havere, l’imperatore l’accettarebbe, et volentieri; altrimente Vostra Santità et tutto il mondo fusse certo che, prima che far altro che potesse essere indigno, si metterebeno a mangiar terra et vendere quanto hanno, et che se li sudetti loro patiriano, S. M. patirebbe insième con essi, facendoli capacci che ’l diffetto non era suo nè si poteva far altro, et questa consolatione non gli mancarebbe..... (Dépêche du cardinal d’Imola au pape du 10 juin : reg. cité, fol. 63.)
  6. Selon le cardinal d’Imola, ce conseil se composait de la reine Marie, de M. de Praet et de M. d’Arras. (Dépêche du 12 juin : reg. cité, fol. 72.)