Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/458

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sures qu’exigeraient les circonstances, alla le 24 s’établir à Mons[1]. Bientôt on reconnut qu’on s’était trompé sur les plans des Français, En effet, tandis que le prince de la Roche-sur-Yon entrait dans l’Artois, le duc de Nevers se dirigea vers les Ardennes, pour menacer à la fois le pays de Liége et la ville de Luxembourg, et le connétable se porta sur Marienbourg, qu’il investit le 23 juin. Cette place était considerée en quelque sorte comme inexpugnable; elle était bien pourvue d’artillerie, de munitions et de vivres; mais, comme on ne s’attendait pas à une attaque de ce côté-là, on n’y avait mis, pour garnison, que cinq à six cents hommes; lorsqu’on y voulut faire entrer du secours, on en fut empêché par les Français, qui occupaient tous les passages[2]. Le 26 les assiégeants, ayant ouvert le feu de leurs batteries, sommèrent la place : le commandant, Philibert de Martigny, se rendit au camp du connétable, et convint avec lui qu’il lui ouvrirait les portes de la forteresse, à condition que la garnison eût les vies et les bagues sauves[3]. La cour de France célébra ce premier succès par de grandes fêtes. Le 30 juin Henri II arriva à Marienbourg. Le 3 juillet l’armée royale se remit en marche dans la direction de la Meuse, afin d’opérer sa jonction avec le duc de Nevers, qu’elle trouva établi à Givet. Les deux armées réunies étaient fortes de plus de quarante mille hommes, infanterie et cavalerie; elles avaient une artillerie nombreuse. Elles séjournèrent à Givet jusqu’au 7[4].

La nouvelle de la reddition de Marienbourg produisit à Bruxelles une vive émotion[5]; les ennemis étant maîtres de la campagne, on pouvait craindre qu’ils ne se portassent jusqu’au cœur du Brabant : il n’y avait plus de position fortifiée qui y fit obstacle. Dans le public on se plaignait hautement de la négligence de l’empereur, qui, ne pouvant ignorer les armements des Français, ne s’était pas mis en mesure d’y résister[6]. Il est certain que les apparences étaient contre Charles-Quint; mais il faut tenir compte, pour être juste, des embarras où il se trouvait; il manquait d’argent jusqu’au point qu’il avait tardé de quinze jours le rassemblement de son armée afin d’en économiser la solde pendant ce temps-là[7]. Il avait

  1. Dépêche du même du 24 juin. (R. cité, f. 111.)
  2. Lettre de Charles-Quint au prince Philippe du 28 juin, déjà citée.
  3. Le commandant de Marienbourg a été accusé par plusieurs historiens d’avoir vendu cette place aux Français. M. Henne, qui croit à la trahison de Philibert de Martigny, avec Pontus Heuterus, rappelle ce que dit celui-ci : « qu’il vit à Paris, en 1560, l’infâme Martigny traînant dans la misère et le mépris des honnêtes gens une honteuse existence, qu’abrégèrent les remords et la faim. »
        Il ne faut pas admettre à la légère les accusations de trahison auxquelles ne sont que trop souvent en butte ceux qui ne réussissent pas à la guerre. Dans la correspondance de ce temps de la reine Marie avec Charles-Quint et Granvelle, je n’ai rien vu d’où l’on puisse inférer que Martigny se serait laissé corrompre. L’archevêque de Conza, annonçant, le 27 juin, au cardinal del Monte la perte de Marienbourg, l’attribue à la làcheté des Wallons qui en formaient la garnison (la villà della guardia de Valloni che vi era, la qual, senza aspettar pur’ un’ arcobugiata, si arrese). Guiehardin, qui était contemporain des événements, s’exprime ainsi : « Marienbourg est... presque inexpugnable, si elle est bien gardée et fournie de ce qui est nécessaire, et pourveu qu’il n’advienne comme advint à ceux qui, l’an 1554, la perdirent ignominieusement par leur lascheté, quoiqu’il y en a qui blâment le gouverneur d’icelle de trahison..... » (Description des Pays-Bas, édit. de 1582, p. 437.)
        Il y a encore une observation qui se présente naturellement à l’esprit : si Martigny avait vendu Marienbourg aux Français, serait-il mort de faim à Paris, comme Pontus Heuterus le rapporte?
  4. Alex. Henne, t. X, p. 113.
  5. On lit, dans une lettre écrite, le 5 juillet, par l’archevêque de Conza au cardinal del Monte, que l’empereur, à cette nouvelle, fut sur le point de se retirer en Hollande, et que déjà des ordres étaient donnés afin qu’on tint prêts des chariots et des mulets pour le voyage (S. M., alla presa di Mariaburg, fù per uscir di qua et andarsi in Olandia, et già erano ordinati carri, muli et simili bagaglie). Ce prélat paraît s’être rendu ici l’écho de bruits mensongers : car l’empereur, en annonçant à son fils, le 28 juin (lettre plusieurs fois citée), la perle de Marienbourg, lui dit qu’il a résolu de faire marcher les troupes dont il peut disposer dans la direction des ennemis, et d’aller le mettre à leur tête.
  6. L’archevêque de Conza écrivait au cardinal del Monte, le 25 juin : « Si lamentano de la negligenza di Sua Maestà », et le 27 : « Tutti li imperiali dannano la negligenza di S. M., et li temeno di peggio se non si sveglia. Dicono che sapeva i preparamenti di Francia et nondimeno non ha fatto le provisioni necessarie. » (Nunziatura di Fiandra, vol. II, fol. 113 et 120.)
  7. L’ambassadeur de Florence à sa cour, Pier Filippo Pandolfini, écrivait à Côme de Médicis, le 4 juillet : « Trovasi l’imperadore in un besogno grande di danari, et la piazza d’Anversa va strettissima..... » (Arch. de Florence.)
        « L’escercito no è a ordine, perché S. M. ha voluto avanzar’ la paga di mezo il mese di maggio, come dicono nell’ antecamara sua.» (Dépêche de l’archevêque de Conza du 25 juin.)