Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/475

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Me Jacques Maes, premier conseiller pensionnaire de la ville d’Anvers et l’un des députés du Brabant, se leva. S’adressant à l’empereur au nom des états généraux, il dit qu’ils avaient appris avec un inexprimable regret sa détermination, car il n’y avait rien qu’ils auraient désiré plus que de continuer à vivre sous son juste, bénin et modéré gouvernement, et ni la difficulté des circonstances, ni les calamités de la guerre actuelle, ni d’autres adversités quelconques, n’étaient capables d’altérer leur amour et leur dévouement pour lui; qu’ils lui auraient donc fait d’instantes et d’humbles prières afin qu’il revînt sur cette détermination, s’ils n’avaient su qu’elle était irrévocable et fondée sur des motifs impérieux. Il ajouta que les états généraux, se soumettant à sa volonté, étaient prêts, en vertu des pouvoirs qu’ils tenaient de leurs commettants, à accepter la cession qu’il faisait des Pays-Bas, à recevoir le prince son fils, à le servir avec autant de zèle et d’affection qu’ils en avaient montré à lui-même. Il demanda ensuite à l’empereur la continuation de sa bienveillance pour le pays, lui offrit cent mille bons souhaits pour l’heureux succès de son voyage en Espagne, et conclut en promettant que les états auraient égard à ses sages avertissements en ce qui concernait le maintien de la justice, l’union, des provinces entre elles et l’observation de la foi catholique. Après ce que venait de déclarer l’organe de l’assemblée nationale, il ne restait à Charles-Quint qu’à investir son successeur de la souveraineté qui lui était déférée. Philippe se jeta aux genoux de son père et voulut lui baiser la main. L’empereur le fit relever, le serra tendrement dans ses bras, et lui dit en espagnol : « Mon cher fils, je vous donne, cède et transporte tous mes pays de par deçà, comme je les possède, avec tous les avantages, profits et émoluments qui en dépendent. Je vous recommande la religion catholique et la justice. » Philippe répondit à son père, dans la même langue, qu’il se soumettait à sa volonté, quoique ce fût une très-grande charge qu’il lui imposait. Cette scène attendrit encore l’empereur, qui, se tournant vers les états, leur dit : « Messieurs, vous ne devez être émerveillés, si, vieux et débile de tous mes membres tel que je suis, et aussi pour l’amitié, je verse quelques larmes. » Alors un secrétaire lut les lettres patentes de la cession. Cette lecture achevée, Philippe, après s’être excusé de ce qu’il ne possédait pas assez le français pour parler aux états en cette langue, chargea l’évêque d’Arras d’exprimer ce qu’il avait à leur dire. Quand Granvelle eut fini de parler, la reine Marie demanda à l’empereur la permission de s’adresser à son tour à l’assemblée. Cette princesse, depuis bien des années, faisait des instances à son frère afin qu’il la déchargeât du gouvernement des Pays-Bas; toujours Charles-Quint avait éludé sa demande; quelques semaines avant son abdication, il l’avait encore sollicitée de conserver la régence sous le roi son fils : mais cette fois elle avait été inébranlable. C’était sa retraite que la reine voulait elle-même annoncer aux états. Elle le fit en des termes pleins de réserve et de convenance. Charles-Quint remercia sa sœur avec effusion des longs et fidèles services qu’elle lui avait rendus. Me Jacques Maes, interprète une seconde fois des sentiments des états généraux, assura la reine de la reconnaissance que le pays conserverait de son administration. Quelques mots de l’évêque d’Arras pour annoncer à l’assemblée, de la part du roi, que la prestation réciproque des serments aurait lieu le jour suivant, terminèrent cette mémorable cérémonie, qui resta sans imitation dans l’avenir comme elle était sans exemple dans le passé. Lorsque les états et le peuple eurent quitté le palais, Charles reprit le chemin de sa petite maison[1].

Il s’était flatté de partir pour la Castille aussitôt après son abdication[2]; le

  1. Retraite et mort, etc., Introduct, pp. 82-104.
  2. Voir sa lettre du 11 octobre 1555 au secrétaire Vazquez, dans Retraite et mort, etc., t. II, p. 69.