Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/114

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il dit ces mots : J’en condamne la pratique. Je demeure d’accord que, si on cherche ces paroles dans Lessius, au nombre 82, où vous les citez, on les y trouvera. Mais que dira-t-on, mes Pères, quand on verra en même temps qu’il traite en cet endroit d’une question toute différente de celle dont nous parlons, et que l’opinion, dont il dit en ce lieu-là qu’il en condamne la pratique, n’est en aucune sorte celle dont il s’agit ici, mais une autre toute séparée ? Cependant il ne faut, pour en être éclairci, qu’ouvrir le livre même où vous renvoyez ; car on y trouvera toute la suite de son discours en cette manière.

Il traite la question, savoir si on peut tuer pour un soufflet, au n. 79, et il la finit au nombre 80, sans qu’il y ait en tout cela un seul mot de condamnation. Cette question étant terminée, il en commence une nouvelle en l’article 81, savoir si on peut tuer pour des médisances. Et c’est sur celle-là qu’il dit, au n. 82, ces paroles que vous avez citées : J’en condamne la pratique.

N’est-ce donc pas une chose honteuse, mes Pères, que vous osiez produire ces paroles, pour faire croire que Lessius condamne l’opinion qu’on peut tuer pour un soufflet ? Et que, n’en ayant rapporté en tout que cette seule preuve, vous triomphiez là-dessus, en disant, comme vous faites : Plusieurs personnes d’honneur dans Paris ont déjà reconnu cette insigne fausseté par la lecture de Lessius, et ont appris par là quelle créance on doit avoir à ce calomniateur ? Quoi ! mes Pères, est-ce ainsi que vous abusez de la créance que ces personnes d’honneur ont en vous ? Pour leur faire entendre que Lessius n’est pas d’un sentiment, vous leur ouvrez son livre en un endroit où il en condamne un autre ; et comme ces personnes n’entrent pas en défiance de votre bonne foi, et ne pensent pas à examiner s’il s’agit en ce lieu-là de la question contestée, vous trompez ainsi leur crédulité. Je m’assure, mes Pères, que, pour vous garantir d’un si honteux mensonge, vous avez eu recours à votre doctrine des équivoques, et que, lisant ce passage tout haut, vous disiez tout bas qu’il s’y agissait d’une autre matière. Mais je ne sais si cette raison, qui suffit bien pour satisfaire votre conscience, suffira pour satisfaire la juste plainte que vous feront ces gens d’honneur quand ils verront que vous les avez joués de cette sorte.

Empêchez-les donc bien, mes Pères, de voir mes lettres, puisque c’est le seul moyen qui vous reste pour conserver encore quelque temps votre crédit. Je n’en use pas ainsi des vôtres ; j’en envoie à tous mes amis ; je souhaite que tout le monde les voie ; et je crois que nous avons tous raison. Car enfin, après avoir publié cette quatrième imposture avec tant d’éclat, vous voilà décriés, si on vient à savoir que vous y avez supposé un passage pour un autre. On jugera facilement que, si vous eussiez trouvé ce que vous demandiez au lieu même où Lessius traite cette matière, vous ne l’eussiez pas été chercher ailleurs ; et que vous n’y avez eu recours que parce que vous n’y voyiez rien qui fût favorable à votre dessein. Vous vouliez faire trouver dans Lessius ce que vous dites dans votre imposture, p. 10, ligne 12, qu’il n’accorde pas que cette opinion soit probable dans la spéculation ; et Lessius dit expressément en sa conclusion, n. 80 : Cette opinion, qu’on peut tuer pour un soufflet reçu, est probable dans la spéculation. N’est-ce pas là mot à mot le contraire de votre discours ? Et qui peut assez admirer avec quelle hardiesse vous produisez en propres termes, le contraire d’une vérité de fait ? de sorte qu’au lieu que vous concluiez, de votre passage supposé, que Lessius n’était pas de ce sentiment, il se conclut fort bien, de son véritable passage, qu’il est de ce même sentiment.

Vous vouliez encore faire dire à Lessius qu’il en condamne la pratique. Et comme je l’ai déjà dit, il ne se trouve pas une seule parole de condamnation en ce lieu-là ; mais il parle ainsi : Il semble qu’on n’en doit pas FACILEMENT permettre la pratique : in praxi non videtur FACILE PERMITTENDA. Est-ce là, mes Pères, le