Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/124

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de tuer un voleur qui nous veut ôter un écu, selon Molina. Cela est si constant, qu’Escobar vous le témoignera, tr. I, ex. 7, n. 44, où il dit que Molina détermine régulièrement la valeur pour laquelle on peut tuer, à un écu. Aussi vous me reprochez seulement, dans la 14. imposture, que j’ai supprimé les dernières paroles de ce passage : Que l’on doit garder en cela la modération d’une juste défense. Que ne vous plaignez-vous donc aussi de ce qu’Escobar ne les a point exprimées ? Mais que vous êtes peu fins ! Vous croyez qu’on n’entend pas ce que c’est, selon vous, que se défendre. Ne savons-nous pas que c’est user d’une défense meurtrière ? Vous voudriez faire entendre que Molina a voulu dire par là que, quand on se trouve en péril de la vie en gardant son écu, alors on peut tuer, puisque c’est pour défendre sa vie. Si cela était vrai, mes Pères, pourquoi Molina dirait-il, au même lieu, qu’il est contraire en cela à Carrerus et Bald., qui permettent de tuer pour sauver sa vie ? Je vous déclare donc qu’il entend simplement que, si l’on peut sauver son écu sans tuer le voleur, on ne doit pas le tuer ; mais que, si l’on ne peut le sauver qu’en tuant, encore même qu’on ne coure nul risque de la vie, comme si le voleur n’a point d’armes, qu’il est permis d’en prendre et de le tuer pour sauver son écu ; et qu’en cela on ne sort point, selon lui, de la modération d’une juste défense. Et pour vous le montrer, laissez-le s’expliquer lui-même ; tom. 4, tr. 3, d. II, n. 5 : On ne laisse pas de demeurer dans la modération d’une juste défense, quoiqu’on prenne des armes contre ceux qui n’en ont point, ou qu’on en prenne de plus avantageuses qu’eux. Je sais qu’il y en a qui sont d’un sentiment contraire : mais je n’approuve point leur opinion, même dans le tribunal extérieur.

Aussi, mes Pères, il est constant que vos auteurs permettent de tuer pour la défense de son bien et de son honneur, sans qu’on soit en aucun péril de sa vie. Et c’est par ce même principe qu’ils autorisent les duels, comme je l’ai fait voir par tant de passages sur lesquels vous n’avez rien répondu. Vous n’attaquez dans vos écrits qu’un seul passage de votre P. Layman, qui le permet, lorsque autrement on serait en péril de perdre sa fortune ou son honneur : et vous dites que j’ai supprimé ce qu’il ajoute, que ce cas-là est fort rare. Je vous admire, mes Pères ; voilà de plaisantes impostures que vous me reprochez ! Il est bien question de savoir si ce cas-là est rare ! il s’agit de savoir si le duel y est permis. Ce sont deux questions séparées. Layman, en qualité de casuiste, doit juger si le duel y est permis, et il déclare que oui. Nous jugerons bien sans lui si ce cas-là est rare, et nous lui déclarerons qu’il est fort ordinaire. Et si vous aimez [mieux] en croire votre bon ami Diana, il vous dira qu’il est fort commun, part. 5, tract. 14, misc. 2, resol. 99. Mais qu’il soit rare ou non, et que Layman suive en cela Navarre, comme vous le faites tant valoir, n’est-ce pas une chose abominable qu’il consente à cette opinion : Que, pour conserver un faux honneur, il soit permis en conscience d’accepter un duel, contre les édits de tous les États chrétiens, et contre tous les Canons de l’Église, sans que vous ayez encore ici pour autoriser toutes ces maximes diaboliques, ni lois, ni Canons, ni autorités de l’Ecriture ou des Pères, ni exemple d’aucun saint, mais seulement ce raisonnement impie : L’honneur est plus cher que la vie ; or, il est permis de tuer pour défendre sa vie : donc il est permis de tuer pour défendre son honneur ? Quoi ! mes Pères, parce que le dérèglement des hommes leur a fait aimer ce faux honneur plus que la vie que Dieu leur a donnée pour le servir, il leur sera permis de tuer pour le conserver ? C’est cela même qui est un mal horrible, d’aimer cet honneur-là plus que la vie. Et cependant cette attache vicieuse, qui serait capable de souiller les actions les plus saintes, si on les rapportait à cette fin, sera capable de justifier les plus criminelles, parce qu’on les rapporte à cette fin !

Quel renversement, mes Pères ! et qui ne voit à quels excès il peut conduire ? Car enfin il est visible qu’il portera jusqu’à tuer pour les moindres choses, quand