Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/138

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qui soient sorties de votre esprit. Je parle de cette audace insupportable avec laquelle vous avez osé imputer à de saintes religieuses et à leurs docteurs de ne pas croire le mystère de la Transsubstantiation, ni la présence réelle de Jésus-Christ dans l’Eucharistie. Voilà, mes Pères, une imposture digne de vous. Voilà un crime que Dieu seul est capable de punir, comme vous seuls êtes capables de le commettre. Il faut être aussi humble que ces humbles calomniées pour le souffrir avec patience ; et il faut être aussi méchant que de si méchants calomniateurs pour le croire. Je n’entreprends donc pas de les en justifier ; elles n’en sont point suspectes. Si elles avaient besoin de défenseurs, elles en auraient de meilleurs que moi. Ce que j’en dirai ici ne sera pas pour montrer leur innocence, mais pour montrer votre malice. Je veux seulement vous en faire horreur à vous-mêmes, et faire entendre à tout le monde qu’après cela il n’y a rien dont vous ne soyez capables.

Vous ne manquerez pas néanmoins de dire que je suis de Port-Royal ; car c’est la première chose que vous dites à quiconque combat vos excès : comme si on ne trouvait qu’à Port-Royal des gens qui eussent assez de zèle pour défendre contre vous la pureté de la morale chrétienne. Je sais, mes Pères, le mérite de ces pieux solitaires qui s’y étaient retirés, et combien l’Église est redevable à leurs ouvrages si édifiants et si solides. Je sais combien ils ont de piété et de lumière, car, encore que je n’aie jamais eu d’établissement avec eux, comme vous le voulez faire croire, sans que vous sachiez qui je suis, je [ne] laisse pas d’en connaître quelques-uns et d’honorer la vertu de tous. Mais Dieu n’a pas renfermé dans ce nombre seul tous ceux qu’il veut opposer à vos désordres. J’espère avec son secours, mes Pères, de vous le faire sentir ; et s’il me fait la grâce de me soutenir dans le dessein qu’il me donne d’employer pour lui tout ce que j’ai reçu de lui, je vous parlerai de telle sorte que je vous ferai peut-être regretter de n’avoir pas affaire à un homme de Port-Royal. Et pour vous le témoigner, mes Pères, c’est qu’au lieu que ceux que vous outragez par cette insigne calomnie se contentent d’offrir à Dieu leurs gémissements pour vous en obtenir le pardon, je me sens obligé, moi qui n’ai point de part à cette injure, de vous en faire rougir à la face de toute l’Église, pour vous procurer cette confusion salutaire dont parle l’Ecriture, qui est presque l’unique remède d’un endurcissement tel que le vôtre : Imple facies eorum ignominia, el quoerent nomen lotion, Domine.

Il faut arrêter cette insolence, qui n’épargne point les lieux les plus saints. Car qui pourra être en sûreté après une calomnie de cette nature ? Quoi ! mes Pères, afficher vous-mêmes dans Paris un livre si scandaleux avec le nom de votre Père Meynier à la tête, et sous cet infâme titre : Le Port-Royal et Genève d’intelligence contre le très Saint-Sacrement de l’Autel, où vous accusez de cette apostasie non seulement M. l’abbé de Saint-Cyran et M. Arnauld, mais aussi la Mère Agnès sa sœur, et toutes les religieuses de ce monastère, dont vous dites, pag. 96, que leur foi est aussi suspecte touchant l’Eucharistie que celle de M. Arnauld, lequel vous soutenez pag. 4 être effectivement calviniste. Je demande là-dessus à tout le monde s’il y a dans l’Église des personnes sur qui vous puissiez faire tomber un si abominable reproche avec moins de vraisemblance. Car, dites-moi, mes Pères, si ces religieuses et leurs directeurs étaient d’intelligence avec Genève contre le très Saint-Sacrement de l’Autel, ce qui est horrible à penser, pourquoi auraient-elles pris pour le principal objet de leur piété ce sacrement qu’elles auraient en abomination ? Pourquoi auraient-elles joint à leur règle l’institution du Saint-Sacrement ? Pourquoi auraient-elles pris l’habit du Saint-Sacrement, pris le nom de filles du Saint-Sacrement, appelé leur église l’Église du Saint-Sacrement ? Pourquoi auraient-elles demandé et obtenu de Rome la confirmation de cette institution, et le pouvoir