Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/145

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qu’ils vous nuisent. C’en est assez, selon votre théologie, pour les calomnier sans crime ; et vous pouvez, sans confession ni pénitence, dire la messe en même temps que vous imputez à des prêtres qui la disent tous les jours de croire que c’est une pure idolâtrie : ce qui serait un si horrible sacrilège, que vous-mêmes avez fait pendre en effigie votre propre Père Jarrige, sur ce qu’il avait dit la messe au temps où il était d’intelligence avec Genève.

Je m’étonne donc, non pas de ce que vous leur imposez avec si peu de scrupule des crimes si grands et si faux, mais de ce que vous leur imposez avec si peu de prudence des crimes si peu vraisemblables : car vous disposez bien des péchés à votre gré ; mais pensez-vous disposer de même de la créance des hommes ? En vérité, mes Pères, s’il fallait que le soupçon de Calvinisme tombât sur eux ou sur vous, je vous trouverais en mauvais termes. Leurs discours sont aussi catholiques que les vôtres ; mais leur conduite confirme leur foi, et la vôtre la dément : car, si vous croyez aussi bien qu’eux que ce pain est réellement changé au corps de Jésus-Christ, pourquoi ne demandez-vous pas comme eux que le cœur de pierre et de glace de ceux à qui vous conseillez de s’en approcher soit sincèrement changé en un cœur de chair et d’amour ? Si vous croyez que Jésus-Christ y est dans un état de mort, pour apprendre à ceux qui s’en approchent à mourir au monde, au péché et à eux-mêmes, pourquoi portez-vous à en approcher ceux en qui les vices et les passions criminelles sont encore toutes vivantes ? Et comment jugez-vous dignes de manger le pain du Ciel ceux qui ne le seraient pas de manger celui de la terre ?

O grands vénérateurs de ce saint mystère, dont le zèle s’emploie à persécuter ceux qui l’honorent par tant de communions saintes, et à flatter ceux qui le déshonorent par tant de communions sacrilèges ! Qu’il est digne de ces défenseurs d’un si pur et si adorable sacrifice de faire environner la table de Jésus-Christ de pécheurs envieillis tout sortant de leurs infamies, et de placer au milieu d’eux un prêtre que son confesseur même envoie de ses impudicités à l’autel, pour y offrir, en la place de Jésus-Christ, cette victime toute sainte au Dieu de sainteté, et la porter de ses mains souillées en ces bouches toutes souillées ! Ne sied-il pas bien à ceux qui pratiquent cette conduite par toute la terre, selon des maximes approuvées de leur propre Général, d’imputer à l’auteur de la Fréquente Communion et aux Filles du Saint-Sacrement de ne pas croire le Saint-Sacrement ?

Cependant cela ne leur suffit pas encore ; il faut, pour satisfaire leur passion, qu’ils les accusent enfin d’avoir renoncé à Jésus-Christ et à leur baptême. Ce ne sont pas là, mes Pères, des contes en l’air comme les vôtres ; ce sont les funestes emportements par où vous avez comblé la mesure de vos calomnies. Une si insigne fausseté n’eût pas été en des mains dignes de la soutenir en demeurant en celles de votre bon ami Filleau, par qui vous l’avez fait naître : votre Société se l’est attribuée ouvertement ; et votre Père Meynier vient de soutenir, comme une vérité certaine, que Port-Royal forme une cabale secrète depuis trente-cinq ans, dont M. de Saint-Cyran et M. d’Ypres ont été les chefs, pour ruiner le mystère de l’Incarnation, faire passer l’Evangile pour une histoire apocryphe, exterminer la religion chrétienne, et élever le Déisme sur les ruines du Christianisme. Est-ce là tout, mes Pères ? Serez-vous satisfaits si l’on croit tout cela de ceux que vous haïssez ? Votre animosité serait-elle enfin assouvie, si vous les aviez mis en horreur non seulement à tous ceux qui sont dans l’Église, par l’intelligence avec Genève, dont vous les accusez, mais encore à tous ceux qui croient en Jésus-Christ, quoique hors l’Église, par le Déisme que vous leur imputez ?

Mais à qui prétendez-vous persuader, sur votre seule parole, sans la moindre apparence de preuve, et