Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/150

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me couvre ? Vous vous sentez frappés par une main invisible, qui rend vos égarements visibles à toute la terre ; et vous essayez en vain de m’attaquer en la personne de ceux auxquels vous me croyez uni. Je ne vous crains ni pour moi, ni pour aucun autre, n’étant attaché ni à quelque communauté, ni à quelque particulier que ce soit. Tout le crédit que vous pouvez avoir est inutile à mon égard. Je n’espère rien du monde, je n’en appréhende rien, je n’en veux rien ; je n’ai besoin, par la grâce de Dieu, ni du bien, ni de l’autorité de personne. Ainsi, mon Père, j’échappe à toutes vos prises. Vous ne me sauriez prendre de quelque côté que vous le tentiez. Vous pouvez bien toucher le Port-Royal, mais non pas moi. On a bien délogé des gens de Sorbonne mais cela ne me déloge pas de chez moi. Vous pouvez bien préparer des violences contre des prêtres et des docteurs, mais non pas contre moi, qui n’ai point ces qualités. Et ainsi peut-être n’eûtes-vous jamais affaire à une personne qui fût si hors de vos atteintes, et si propre à combattre vos erreurs, étant libre, sans engagement, sans attachement, sans liaison ; sans relations, sans affaires, assez instruit de vos maximes, et bien résolu de les pousser autant que je croirai que Dieu m’y engagera, sans qu’aucune considération humaine puisse arrêter ni ralentir mes poursuites.

A quoi vous sert-il donc, mon Père, lorsque vous ne pouvez rien contre moi, de publier tant de calomnies contre des personnes qui ne sont point mêlées dans nos différends, comme font tous vos Pères ? Vous n’échapperez pas par ces fuites ; vous sentirez la force de la vérité que je vous oppose. Je vous dis que vous anéantissez la morale chrétienne en la séparant de l’amour de Dieu, dont vous dispensez les hommes ; et vous me parlez de la mort du père Mester, que je n’ai vu de ma vie. Je vous dis que vos auteurs permettent de tuer pour une pomme, quand il est honteux de la laisser perdre ; et vous me dites qu’on a ouvert un tronc à Saint-Merri. Que voulez-vous dire de même, de me prendre tous les jours à partie sur le livre De la sainte Virginité, fait par un P. de l’Oratoire que je ne vis jamais, non plus que son livre ? Je vous admire, mon Père, de considérer ainsi tous ceux qui vous sont contraires comme une seule personne. Votre haine les embrasse tous ensemble, et en forme comme un corps de réprouvés, dont vous voulez que chacun réponde pour tous les autres.

Il y a bien de la différence entre les Jésuites et ceux qui les combattent. Vous composez véritablement un corps uni sous un seul chef ; et vos règles, comme je l’ai fait voir, vous défendent de rien imprimer sans l’aveu de vos supérieurs, qui sont rendus responsables des erreurs de tous les particuliers, sans qu’ils puissent s’excuser en disant qu’ils n’ont pas remarqué les erreurs qui y sont enseignées, parce qu’ils les doivent remarquer selon vos ordonnances, et selon les lettres de vos Généraux Aquaviva, Vittelleschi, etc. C’est donc avec raison qu’on vous reproche les égarements de vos confrères, qui se trouvent dans leurs ouvrages approuvés par vos supérieurs et par les théologiens de votre Compagnie. Mais quant à moi, mon Père, il en faut juger autrement. Je n’ai pas souscrit le livre De la sainte Virginité. On ouvrirait tous les troncs de Paris sans que j’en fusse moins catholique. Et enfin je vous déclare hautement et nettement que personne ne répond de mes Lettres que moi, et que je ne réponds de rien que de mes Lettres.

Je pourrais en demeurer là, mon Père, sans parler de ces autres personnes que vous traitez d’hérétiques pour me comprendre dans cette accusation. Mais, comme j’en suis l’occasion, je me trouve engagé en quelque sorte à me servir de cette même occasion pour en tirer trois avantages. Car c’en est un bien considérable de faire paraître l’innocence de tant de personnes calomniées. C’en est un autre, et bien propre à mon sujet, de montrer toujours les artifices de votre politique dans cette accusation. Mais celui que j’estime le plus est que j’apprendrai par là à tout le monde la fausseté de ce bruit scandaleux que vous semez de tous côtés, que l’Église est divisée par une nouvelle hérésie. Et comme vous abusez une infinité de personnes en leur faisant accroire que les points sur lesquels vous essayez d’exciter un si grand orage sont essentiels à la foi, je trouve d’une extrême importance de détruire ces fausses impressions, et d’expliquer ici nettement en quoi ils consistent, pour montrer qu’en effet il n’y a point d’hérétiques dans l’Église.

Car n’est-il pas vrai que, si l’on demande en quoi consiste l’hérésie de ceux que vous appelez Jansénistes, on répondra incontinent que c’est en ce que ces gens-là disent que les commandements de Dieu sont impossibles ; qu’on ne peut résister à la grâce, et qu’on n’a pas la liberté de faire le bien et le mal ; que Jésus-Christ n’est pas mort pour tous les hommes, mais seulement pour les prédestinés et enfin, qu’ils soutiennent les cinq propositions condamnées par le Pape ? Ne faites-vous pas entendre que c’est pour ce sujet que vous persécutez vos adversaires ? N’est-ce pas ce que vous dites dans vos livres, dans vos entretiens, dans vos catéchismes, comme vous fîtes encore aux fêtes de Noël à Saint-Louis, en demandant à une de vos petites bergères : Pour qui est venu Jésus-Christ, ma fille ? Pour tous les hommes, mon Père. Eh quoi ! ma fille, vous n’êtes donc pas de ces nouveaux hérétiques qui disent