Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/159

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mon Père, que non seulement ils tiennent qu’on résiste effectivement à ces grâces faibles, qu’on appelle excitantes ou inefficaces, en n’exécutant pas le bien qu’elles nous inspirent, mais qu’ils sont encore aussi fermes à soutenir contre Calvin le pouvoir que la volonté a de résister même à la grâce efficace et victorieuse qu’à défendre contre Molina le pouvoir de cette grâce sur la volonté, aussi jaloux de l’une de ces vérités que de l’autre. Ils ne savent que trop que l’homme, par sa propre nature, a toujours le pouvoir de pécher et de résister à la grâce, et que, depuis sa corruption, il porte un fonds malheureux de concupiscence, qui lui augmente infiniment ce pouvoir ; mais que néanmoins, quand il plaît à Dieu de le toucher par sa miséricorde, il lui fait faire ce qu’il veut et en la manière qu’il le veut, sans que cette infaillibilité de l’opération de Dieu détruise en aucune sorte la liberté naturelle de l’homme, par les secrètes et admirables manières dont Dieu opère ce changement, que saint Augustin a si excellemment expliquées, et qui dissipent toutes les contradictions imaginaires que les ennemis de la grâce efficace se figurent entre le pouvoir souverain de la grâce sur le libre arbitre et la puissance qu’a le libre arbitre de résister à la grâce ; car, selon ce grand saint, que les Papes de l’Église ont donné pour règle en cette matière, Dieu change le cœur de l’homme par une douceur céleste qu’il y répand, qui, surmontant la délectation de la chair, fait que l’homme sentant d’un côté sa mortalité et son néant, et découvrant de l’autre la grandeur et l’éternité de Dieu, conçoit du dégoût pour les délices du péché, qui le séparent du bien incorruptible. Trouvant sa plus grande joie dans le Dieu qui le charme, il s’y porte infailliblement de lui-même, par un mouvement tout libre, tout volontaire, tout amoureux ; de sorte que ce lui serait une peine et un supplice de s’en séparer. Ce n’est pas qu’il ne puisse toujours s’en éloigner, et qu’il ne s’en éloignât effectivement, s’il le voulait. Mais comment le voudrait-il, puisque la volonté ne se porte jamais qu’à ce qu’il lui plaît le plus, et que rien ne lui plaît tant alors que ce bien unique, qui comprend en soi tous les autres biens ? Quod enim amplius nos delectat, secundum id operemur necesse est, comme dit saint Augustin.

C’est ainsi que Dieu dispose de la volonté libre de l’homme sans lui imposer de nécessité ; et que le libre arbitre, qui peut toujours résister à la grâce, mais qui ne le veut pas toujours, se porte aussi librement qu’infailliblement à Dieu, lorsqu’il veut l’attirer par la douceur de ses inspirations efficaces.

Ce sont là, mon Père, les divins principes de saint Augustin et de saint Thomas, selon lesquels il est véritable que nous pouvons résister à la grâce, contre l’opinion de Calvin ; et que néanmoins, comme dit le pape Clément VIII, dans son écrit adressé à la Congrégation De auxiliis : Dieu forme en nous le mouvement de notre volonté, et dispose efficacement de notre cœur, par l’empire que sa majesté suprême a sur les volontés des hommes, aussi bien que sur le reste des créatures qui sont sous le ciel, selon saint Augustin.

C’est encore selon ces principes que nous agissons de nous-mêmes ; ce qui fait que nous avons des mérites qui sont véritablement nôtres, contre l’erreur de Calvin, et que néanmoins, Dieu étant le premier principe de nos actions et faisant en nous ce qui lui est agréable, comme dit saint Paul, nos mérites sont des dons de Dieu, comme dit le Concile de Trente.

C’est par là qu’est détruite cette impiété de Luther, condamnée par le même Concile, que nous ne coopérons en aucune sorte à notre salut, non plus que des choses inanimées ; et c’est par là qu’est encore détruite l’impiété de l’école de Molina, qui ne veut pas reconnaître que c’est la force de la grâce même qui fait que nous