Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/168

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au lieu que s’ils venoient à connoître qu’il n’est question que de ce petit point de fait, ils n’en seroient nullement touchés, et ils auroient au contraire bien du regret d’avoir fait tant d’efforts pour suivre vos passions particulières en une affaire qui n’est d’aucune conséquence pour l’Église.

Car enfin, pour prendre les choses au pis. quand même il seroit véritable que Jansénius auroit tenu ces propositions, quel malheur arriveroit-il de ce que quelques personnes en douteraient, pourvu qu’ils les détestent, comme ils le font publiquement ? N’est-ce pas assez qu’elles soient condamnées par tout le monde sans exception, au sens même où vous avez expliqué que vous voulez qu’on les condamne ? En seroient elles plus censurées, quand on diroit que Jansénius les a tenues ? A quoi servirait donc d’exiger cette reconnoissance, sinon à décrier un docteur et un évêque qui est mort dans la communion de l’Église ? Je ne vois pas que ce soit là un si grand bien, qu’il faille l’acheter par tant de troubles. Quel intérêt y a l’État, le pape, les évêques, les docteurs et toute l’Église ? Cela ne les touche en aucune sorte, mon père ; et il n’y a que votre seule Société qui recevroit véritablement quelque plaisir de cette diffamation d’un auteur qui vous a fait quelque tort. Cependant tout se remue, parce que vous faites entendre que tout est menacé. C’est la cause secrète qui donne le branle à tous ces grands mouvemens, qui cesseroient aussitôt qu’on aurait su le véritable état de vos disputes. Et c’est pourquoi, comme le repos de l’Église dépend de cet éclaircissement, il étoit d’une extrême importance de le donner, afin que, tous vos déguisemens étant découverts, il paroisse à tout le monde que vos accusations sont sans fondement, vos adversaires sans erreurs, et l’Église sans hérésie.

Voilà, mon père, le bien que j’ai eu pour objet de procurer, qui me semble si considérable pour toute la religion, que j’ai dela peine à comprendre comment ceux à qui vous donnez tant de sujet de parler peuvent demeurer dans le silence. Quand les injures que vous leur faites ne les toucheraient pas, celles que l’Église souffre devroient, ce me semble, les porter à s’en plaindre, outre que je doute que les ecclésiastiques puissent abandonner leur réputation à la calomnie, surtout en matière de foi. Cependant ils vous laissent dire tout ce qu’il vous plaît de sorte que, sans l’occasion que vous m’en avez donnée par hasard peut-être que rien ne seroit opposé aux impressions scandaleuses que vous semez de tous côtés. Ainsi leur patience m’étonne, et d’autant plus qu’elle ne peut m’être suspecte ni de timidité, ni d’impuissance, sachant bien qu’ils ne manquent ni de raisons pour leur justification. ni de zèle pour la vérité. Je les vois néanmoins si religieux à se taire, que je crains qu’il n’y ait en cela de l’excès. Pour moi, mon père, je ne crois pas pouvoir le faire. Laissez l’Église en paix, et je vous y laissera de bon cœur. Mais pendant que vous ne travaillerez qu’à y entretenir le trouble, ne doutez pas qu’il ne se trouve des enfans de la paix qui se croiront obligés d’employer tous leurs efforts pour y conserver la tranquillité.