Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/30

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De sorte qu'après tant d'épreuves de leur faiblesse, ils ont jugé plus à propos et plus facile de censurer que de repartir, parce qu'il leur est bien plus aisé de trouver des moines que des raisons?

Mais, quoi! lui dis-je, la chose étant ainsi, leur censure est inutile. Car quelle créance y aura-t-on en la voyant sans fondement, et ruinée par les réponses qu'on y fera? Si vous connaissiez l'esprit du peuple, me dit mon docteur, vous parleriez d'une autre sorte. Leur censure, toute censurable qu'elle est, aura presque tout son effet pour un temps; et quoiqu'à force d'en montrer l'invalidité il soit certain qu'on la fera entendre, il est aussi véritable que d'abord la plupart des esprits en seront aussi fortement frappés que de la plus juste du monde. Pourvu qu'on crie dans les rues: Voici la censure de M. Arnauld, voici la condamnation des Jansénistes, les Jésuites auront leur compte. Combien y en aura-t-il peu qui la lisent? combien peu de ceux qui la liront qui l'entendent? combien peu qui aperçoivent qu'elle ne satisfait point aux objections? Qui croyez-vous qui prenne les choses à coeur, et qui entreprenne de les examiner à fond? Voyez donc combien il y a d'utilité en cela pour les ennemis des Jansénistes. Ils sont sûrs par là de triompher, quoique d'un vain triomphe à leur ordinaire, au moins durant quelques mois. C'est beaucoup pour eux. Ils chercheront ensuite quelque nouveau moyen de subsister. Ils vivent au jour la journée. C'est de cette sorte qu'ils se sont maintenus jusqu'à présent, tantôt par un catéchisme où un enfant condamne leurs adversaires, tantôt par une procession où la grâce suffisante mène l'efficace en triomphe, tantôt par une comédie où les diables emportent Jansénius, une autre fois par un almanach, maintenant par cette censure.

En vérité, lui dis-je, je trouvais tantôt à redire au procédé des Molinistes; mais après ce que vous m'avez dit, j'admire leur prudence et leur politique. Je vois bien qu'ils ne pouvaient rien faire de plus judicieux ni de plus sûr. Vous l'entendez, me dit-il: leur plus sûr parti a toujours été de se taire. Et c'est ce qui a fait dire à un savant théologien: Que les plus habiles d'entre eux sont ceux qui intriguent beaucoup, qui parlent peu et qui n'écrivent point.

C'est dans cet esprit que, dès le commencement des assemblées, ils avaient prudemment ordonné que si M. Arnauld venait en Sorbonne, ce ne fût que pour exposer simplement ce qu'il croyait, et non pas pour y entrer en lice contre personne. Les examinateurs s'étant voulu un peu écarter de cette méthode, ils ne s'en sont pas