Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

on, si l'on objectait qu'afin de faire son salut, il serait donc aussi sûr, selon Vasquez, de ne point donner l'aumône, pourvu qu'on ait assez d'ambition pour n'avoir point de superflu, qu'il est sûr, selon l'Evangile, de n'avoir point d'ambition, afin d'avoir du superflu pour en pouvoir donner l'aumône? Il faudrait répondre, me dit-il, que toutes ces deux voies sont sûres selon le même Evangile; l'une selon l'Evangile dans le sens le plus littéral et le plus facile à trouver, l'autre selon le même Evangile interprété par Vasquez. Vous voyez par là l'utilité des interprétations.

Mais quand les termes sont si clairs qu'ils n'en souffrent aucune, alors nous nous servons de la remarque des circonstances favorables, comme vous verrez par cet exemple. Les Papes ont excommunié les religieux qui quittent leur habit, et nos vingt-quatre vieillards ne laissent pas de parler en cette sorte, tr. 6, ex. 7, n. 103: En quelles occasions un religieux peut-il quitter son habit sans encourir l'excommunication? Il en rapporte plusieurs, et entre autres celles-ci: S'il le quitte pour une cause honteuse, comme pour aller filouter, ou pour aller incognito en des lieux de débauche, le devant bientôt reprendre. Aussi il est visible que les bulles ne parlent point de ces cas-là.

J'avais peine à croire cela, et je priai le Père de me le montrer dans l'original et je vis que le chapitre où sont ces paroles est intitulé: Pratique selon l'école de la Société de Jésus; Praxis ex Societatis Jesu schola; et j'y vis ces mots: Si habitum dimittat ut furetur occulte, vel fornicetur. Et il me montra la même chose dans Diana, en ces termes: Ut eat incognitus ad lupanar. Et d'où vient, mon Père, qu'ils les ont déchargés de l'excommunication en cette rencontre? Ne le comprenez-vous pas? me dit-il. Ne voyez-vous pas quel scandale ce serait de surprendre un religieux en cet état avec son habit de religion? Et n'avez-vous point ouï parler, continua-t-il, comment on répondit à la première bulle, Contra sollicitantes? et de quelle sorte nos vingt-quatre, dans un chapitre aussi de la pratique de l'école de notre Société, expliquent la bulle de Pie V, Contra clericos, etc.? Je ne sais ce que c'est que tout cela, lui dis-je. Vous ne lisez donc guère Escobar, me dit-il. Je ne l'ai que d'hier, mon Père, et même j'eus de la peine à le trouver. Je ne sais ce qui est arrivé depuis peu, qui fait que tout le monde le cherche. Ce que je vous disais, repartit le Père, est au tr. I, ex. 8, n. 102. Voyez-le en votre particulier; vous y trouverez un bel exemple de la manière d'interpréter favorablement les bulles. Je le vis en effet dès le soir même; mais je n'ose vous le rapporter, car c'est une chose effroyable.

Le bon Père continua donc ainsi: Vous entendez bien maintenant comment on se sert des circonstances favorables. Mais il y en a quelquefois de si précises, qu'on ne peut accorder par là les contradictions: de sorte que ce serait bien alors que vous croiriez qu'il y en aurait. Par exemple, trois Papes ont décidé que les religieux qui sont obligés par un voeu particulier à la vie quadragésimale n'en sont pas dispensés, encore qu'ils soient faits évêques; et cependant Diana dit que, nonobstant leur décision, ils en sont dispensés. Et comment accorde-t-il cela? lui dis-je. C'est, répliqua le Père, par la plus subtile de toutes les nouvelles méthodes, et par le plus fin de la probabilité. Je vais vous l'expliquer. C'est que, comme vous le vîtes l'autre jour, l'affirmative et la négative de la plupart des opinions ont chacune quelque probabilité, au jugement de nos docteurs, et assez pour être suivies avec sûreté de conscience. Ce n'est pas que le pour et le contre soient ensemble véritables