Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/52

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vous disais donc que, quand le temps a ainsi mûri une opinion, alors elle est tout à fait probable et sûre. Et de là vient que le docte Caramuel, dans la lettre où il adresse à Diana sa Théologie fondamentale, dit que ce grand Diana a rendu plusieurs opinions probables qui ne l'étaient pas auparavant, quoe antea non erant: et qu'ainsi on ne pèche plus en les suivant, au lieu qu'on péchait auparavant: jam non peccant, licet ante peccaverint.

En vérité, mon Père, lui dis-je, il y a bien à profiter auprès de vos docteurs. Quoi! de deux personnes qui font les mêmes choses, celui qui ne sait pas leur doctrine pèche, celui qui la sait ne pèche pas! Est-elle donc tout ensemble instructive et justifiante? La loi de Dieu faisait des prévaricateurs, selon saint Paul; celle-ci fait qu'il n'y a presque que des innocents. Je vous supplie, mon Père, de m'en bien informer; je ne vous quitterai point que vous ne m'ayez dit les principales maximes que vos casuistes ont établies.

Hélas! me dit le Père, notre principal but aurait été de n'établir point d'autres maximes que celles de l'Evangile dans toute leur sévérité; et l'on voit assez par le règlement de nos moeurs que, si nous souffrons quelque relâchement dans les autres, c'est plutôt par condescendance que par dessein. Nous y sommes forcés. Les hommes sont aujourd'hui tellement corrompus, que, ne pouvant les faire venir à nous, il faut bien que nous allions à eux: autrement ils nous quitteraient; ils feraient pis, ils s'abandonneraient entièrement. Et c'est pour les retenir que nos casuistes ont considéré les vices auxquels on est le plus porté dans toutes les conditions, afin d'établir des maximes si douces, sans toutefois blesser la vérité, qu'on serait de difficile composition si l'on n'en était content; car le dessein capital que notre Société a pris pour le bien de la religion est de ne rebuter qui que ce soit, pour ne pas désespérer le monde.

Nous avons donc des maximes pour toutes sortes de personnes, pour les bénéficiers, pour les prêtres, pour les religieux, pour les gentilshommes, pour les domestiques, pour les riches, pour ceux qui sont dans le commerce, pour ceux qui sont mal dans leurs affaires, pour ceux qui sont dans l'indigence, pour les femmes dévotes, pour celles qui ne le sont pas, pour les gens mariés, pour les gens déréglés: enfin rien n'a échappé à leur prévoyance. C'est-à-dire, lui dis-je, qu'il y en a pour le Clergé, la Noblesse et le Tiers-Etat: me voici bien disposé à les entendre.

Commençons, dit le Père, par les bénéficiers. Vous savez quel trafic on fait aujourd'hui des bénéfices, et que s'il fallait s'en rapporter à ce que saint Thomas et les anciens en ont écrit, il y aurait bien des simoniaques dans l'Eglise. C'est pourquoi il a été fort nécessaire que nos Pères aient tempéré les choses par leur prudence, comme ces paroles de Valentia, qui est l'un des quatre animaux d'Escobar, vous l'apprendront. C'est la conclusion d'un long discours, où il en donne plusieurs expédients, dont voici le meilleur à mon avis; c'est en la page 2039 du tome III. Si l'on donne un bien temporel pour un bien spirituel, c'est-à-dire de l'argent pour un bénéfice, et qu'on donne l'argent comme le prix du bénéfice, c'est une simonie visible; mais si on le donne comme le motif qui porte la volonté du collateur à le conférer, ce n'est point simonie, encore que celui qui le confère, considère et attende l'argent comme la fin principale. Tannerus, qui est encore de notre Société, dit la même chose dans son tome III, p. 1519, quoiqu'il avoue que saint Thomas y est contraire, en ce qu'il enseigne absolument