Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/59

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qu'on leur souhaite la mort par un mouvement de haine. Voyez notre Père Escobar, Tr. 5, ex. 5, n. 145: Si votre ennemi est disposé à vous nuire, vous ne devez pas souhaiter sa mort par un mouvement de haine, mais vous le pouvez bien faire pour éviter votre dommage. Car cela est tellement légitime avec cette intention, que notre grand Hurtado de Mendoza dit: Qu'on peut prier Dieu de faire promptement mourir ceux qui se disposent à nous persécuter, si on ne le peut éviter autrement. C'est au livre De Spe, Vol. II, d. 15, 3., sect. 4, [§] 48.

Mon Révérend Père, lui dis-je, l'Eglise a bien oublié de mettre une oraison à cette intention dans ses prières. On n'y a pas mis, me dit-il, tout ce qu'on peut demander à Dieu. Outre que cela ne se pouvait pas, car cette opinion-là est plus nouvelle que le bréviaire: vous n'êtes pas bon chronologiste. Mais, sans sortir de ce sujet, écoutez encore ce passage de notre Père Gaspar Hurtado, De Sub. pecc. diff. 9, cité par Diana, p. 5, tr. 14, r. 99; c'est l'un des vingt-quatre Pères d'Escobar. Un bénéficier peut, sans aucun péché mortel, désirer la mort de celui qui a une pension sur son bénéfice; et un fils celle de son père, et se réjouir quand elle arrive, pourvu que ce ne soit que pour le bien qui lui en revient, et non pas par une haine personnelle.

O mon Père! lui dis-je, voilà un beau fruit de la direction d'intention! Je vois bien qu'elle est de grande étendue; mais néanmoins il y a de certains cas dont la résolution serait encore difficile, quoique fort nécessaire pour les gentilshommes. Proposez-les pour voir, dit le Père. Montrez-moi, lui dis-le, avec toute cette direction d'intention, qu'il soit permis de se battre en duel. Notre grand Hurtado de Mendoza, dit le Père, vous y satisfera sur l'heure, dans ce passage que Diana rapporte p. 5 tr. 14, r. 99. Si un gentilhomme qui est appelé en duel est connu pour n'être pas dévot, et que les péchés qu'on lui voit commettre à toute heure sans scrupule fassent aisément juger que, s'il refuse le duel, ce n'est pas par la crainte de Dieu, mais par timidité; et qu'ainsi on dise de lui que c'est une poule et non pas un homme, gallina et non vir, il peut, pour conserver son honneur, se trouver au lieu assigné, non pas véritablement avec l'intention expresse de se battre en duel, mais seulement avec celle de se défendre, si celui qui l'a appelé l'y vient attaquer injustement. Et son action sera tout indifférente d'elle-même. Car quel mal y a-t-il d'aller dans un champ, de s'y promener en attendant un homme, et de se défendre si on l'y vient attaquer? Et ainsi il ne pèche en aucune manière, puisque ce n'est point du tout accepter un duel, ayant l'intention dirigée à d'autres circonstances. Car l'acceptation du duel consiste en l'intention expresse de se battre, laquelle celui-ci n'a pas.

Vous ne m'avez pas tenu parole, mon Père. Ce n'est pas là proprement permettre le duel; au contraire, il le croit tellement défendu, que, pour le rendre permis, il évite de dire que c'en soit un. Ho! ho! dit le Père, vous commencez à pénétrer; j'en suis ravi. Je pourrais dire néanmoins qu'il permet en cela tout ce que demandent ceux qui se battent en duel. Mais, puisqu'il faut vous répondre juste, notre Père Layman le fera pour moi, en permettant le duel en mots propres, pourvu qu'on dirige son intention à l'accepter seulement pour conserver son honneur ou sa fortune. C'est au I. 3, p. 3, c. 3, n. 2 et 3: Si un soldat à l'armée, ou un gentilhomme à la Cour, se trouve en état de perdre son honneur ou sa fortune, s'il n'accepte un duel, je ne vois pas que l'on puisse condamner celui qui le reçoit pour se défendre. Petrus Hurtado dit la même chose, au rapport de notre célèbre Escobar, au tr. I,