Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/61

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pour ce qui touche la conscience. Et il confirme encore, au même lieu, qu'on peut tuer et témoins et juge.

Mon Père, lui dis-je, j'entends maintenant assez bien votre principe de la direction d'intention; mais j'en veux bien entendre aussi les conséquences, et tous les cas où cette méthode donne le pouvoir de tuer. Reprenons donc ceux que vous m'avez dits, de peur de méprise; car l'équivoque serait ici dangereuse. Il ne faut tuer que bien à propos, et sur bonne opinion probable. Vous m'avez donc assuré qu'en dirigeant bien son intention, on peut, selon vos Pères, pour conserver son honneur, et même son bien, accepter un duel, l'offrir quelquefois, tuer en cachette un faux accusateur, et ses témoins avec lui, et encore le juge corrompu qui les favorise; et vous m'avez dit aussi que celui qui a reçu un soufflet peut, sans se venger, le réparer à coups d'épée. Mais, mon Père, vous ne m'avez pas dit avec quelle mesure. On ne s'y peut guère tromper, dit le Père; car on peut aller jusqu'à le tuer. C'est ce que prouve fort bien notre savant Henriquez, Liv. 14, c. 10, n. 3, et d'autres de nos Pères rapportés par Escobar, tr. I, ex. 7, n. 48, en ces mots: On peut tuer celui qui a donné un soufflet, quoiqu'il s'enfuie, pourvu qu'on évite de le faire par haine ou par vengeance, et que par là on ne donne pas lieu à des meurtres excessifs et nuisibles à l'Etat. Et la raison en est, qu'on peut ainsi courir après son honneur, comme après du bien dérobé; car encore que votre honneur ne soit pas entre les mains de votre ennemi, comme seraient des hardes qu'il vous aurait volées, on peut néanmoins le recouvrer en la même manière, en donnant des marques de grandeur et d'autorité, et s'acquérant par là l'estime des hommes. Et, en effet, n'est-il pas véritable que celui qui a reçu un soufflet est réputé sans honneur, jusqu'à ce qu'il ait tué son ennemi? Cela me parut si horrible, que j'eus peine à me retenir; mais, pour savoir le reste, je le laissai continuer ainsi: Et même, dit-il, on peut, pour prévenir un soufflet, tuer celui qui le veut donner, s'il n'y a que ce moyen de l'éviter. Cela est commun dans nos Pères. Par exemple, Azor, Inst. mor., part. 3, p. 105 (c'est encore l'un des vingt-quatre vieillards): Est-il permis à un homme d'honneur de tuer celui qui lui veut donner un soufflet ou un coup de bâton? Les uns disent que non; et leur raison est que la vie du prochain est plus précieuse que notre honneur: outre qu'il y a de la cruauté à tuer un homme pour éviter seulement un soufflet. Mais les autres disent que cela est permis; et certainement je le trouve probable, quand on ne peut l'éviter autrement; car, sans cela, l'honneur des innocents serait sans cesse exposé à la malice des insolents. Notre grand Filiutius, de même, t. 2, tr. 29, c. 3, n. 50; et le P. Héreau, dans ses écrits de l'homicide; Hurtado de Mendoza, in 2, 2, disp. 170, sect. 16, § 137; et Bécan, Som., t. I, q. 64, De Homicid; et nos Pères Flahaut et Lecourt, dans leurs écrits que l'Université, dans sa troisième requête, a rapportés tout au long pour les décrier, mais elle n'y a pas réussi; et Escobar au même lieu, n. 48, disent tous les mêmes choses. Enfin cela est si généralement soutenu, que Lessius le décide comme une chose qui n'est contestée d'aucun casuiste, l. 2, c. 9, n. 76; car il en apporte un grand nombre qui sont de cette opinion, et aucun qui soit contraire; et même il allègue, n. 77, Pierre Navarre, qui, parlant généralement des affronts, dont il n'y en [a] point de plus sensible qu'un soufflet, déclare que, selon le consentement de tous les casuistes, ex sententia omnium licet contumeliosum occidere, si aliter ea injuria arceri nequit. En voulez-vous davantage?

Je l'en remerciai, car je n'en avais que trop entendu; mais pour voir jusqu'où irait une si damnable doctrine, je lui dis: Mais, mon Père, ne sera-t-il point permis de tuer pour un peu moins? Ne saurait-on diriger son intention en sorte qu'on puisse tuer pour un démenti? Oui, dit le Père, et selon notre Père Baldelle, l. 3, disp. 24, n. 24, rapporté