Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/220

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mugissement populaire, aussi vague et plus profond que celui de la mer. Flattés et menacés tour à tour, les soldats étaient en proie aux plus cruelles incertitudes : ils chassaient devant eux la multitude avec des regards amis et des gestes suppliants. Cela devait être : des femmes élégantes avaient été vues aux fenêtres, criant sur le passage des troupes : « Ne faites pas de mal au peuple » ; et le frac des gens du monde paraissait dans l’émeute à côté de la veste en lambeaux des prolétaires. Ce n’était donc pas ici, comme plus tard à Lyon, une armée d’esclaves modernes conduite au combat par d’autres esclaves. Les chefs, ici, étaient puissants par l’intelligence, par la richesse, par les honneurs. Or, tel est dans toute société en enfance le servilisme des âmes, que le malheur protestant contre l’iniquité, y est moins sacré que la puissance soulevée contre qui a osé la méconnaître.

Au reste, l’agitation ne fut pas plus tôt descendue des salons dans les carrefours qu’elle y rencontra des milliers d’hommes atteints du dégoût de la vie. Et il est à remarquer qu’elle prit naissance au Palais-Royal, c’est-à-dire dans ce quartier tout ruisselant d’or et de pierreries, où la civilisation enveloppe ses misères dans ses pompes, quartier des riches et des prostituées. Aussi, ce fut du fond de ces repaires impurs que masquent d’étincelantes boutiques, qu’on vit sortir, dans la soirée du 27, le regard égaré et le visage en feu, quelques-uns des hommes du commencement. Mais au vrai peuple, à celui qui travaille et qui souffre, il devait être donné de remplir tout entière l’histoire de ces combats