Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde : ce vide, il le fallait remplir. Mais comment ? Par qui et sur quelles bases reconstituer le pouvoir spirituel ?

Dans un premier ouvrage, intitulé Lettres d’un habitant de Genève à ses contemporains, Saint-Simon s’adressa aux savants. Le projet qu’il proposa était d’une bizarrerie extrême ; il contenait des idées que l’auteur devait repousser plus tard, et notamment celle de l’élection : ce n’était pas encore une doctrine, c’était une ébauche. D’après ce projet, une sousciption aurait été ouverte devant le tombeau de Newton. Tous auraient été appelés à souscrire, riches et pauvres, hommes et femmes, chacun selon sa fortune et son vouloir ; et chaque souscripteur aurait nommé trois mathématiciens, trois physiciens, trois chimistes, trois physiologistes, trois littérateurs, trois peintres, trois musiciens. Le produit de la souscription aurait été partagé entre les savants et les artistes désignés par le plus grand nombre de suffrages. Les vint-un élus de l’humanité, réunis sous le nom de Conseil de Newton, et présidés par un mathématicien, auraient formé le gouvernement spirituel chargé de diriger vers un but commun les diverses nations du globe.

Ce projet, qui n’avait de remarquable que sa singularité, n’était de nature ni à être goûté, ni à être compris. Il était incomplet, d’ailleurs. Il ne créait aucune connexité permanente et nécessaire entre la science et l’industrie, entre les découvertes de l’esprit et leur application, entre la théorie et la pratique. D’un autre côté, Saint-Simon ne tarda pas à remarquer que le corps des savants n’était plus qu’un