Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/150

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la ruine de ses espérances deux hommes tels que MM. Armand Carrel et Garnier-Pagès.

Armand Carrel avait dans toute sa personne quelque chose de chevaleresque. Le balancement de sa démarche, son geste bref, ses habitudes d’élégance virile, son goût pour les exercices du corps, et aussi, une certaine âpreté qu’accusaient les lignes heurtées de son visage et l’énergie de son regard, tout cela était plus du militaire que de l’écrivain. Officier sous la Restauration, conspirateur à Béfort, armé en Espagne contre le drapeau blanc, traîné, plus tard, devant trois conseils de guerre, 1830 l’avait trouvé journaliste. Mais l’homme d’épée survivait en lui. Que de fois, dans la cour de l’hôtel Colbert, ne l’avons-nous pas vu entrer à cheval, dans une tenue sévère, et la cravache à la main ? Quoique plein de douceur et d’abandon dans l’intimité, il apparaissait dans la vie publique, dominateur et absolu. Écrivain, il avait dans son style moins d’éclat que de relief, moins de mouvement que de nerf ; mais il maniait d’une façon inimitable l’arme du mépris ; il ne critiquait pas ses adversaires, il les châtiait et, comme il était toujours prêt à répondre par le sacrifice de sa vie aux ressentiments éveillés par sa parole, il régnait en maître dans le domaine de la polémique, dédaigneux, formidable et respecté. Il était né chef de parti : chef d’école, il n’aurait pu l’être. Il manquait de ce fanatisme froid qui naît des études opiniâtres et fait les novateurs. Voltairien avant tout, il ne paraissait pas avoir souci de marquer sa place dans l’histoire par l’initiative de la pensée. Mais quand