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péditions qui montrent des moines enchaînés sur la glace ou des chartreux promenés dans les villes le front ceint d’une couronne d’épines, au retour de combats qui rappellent ceux d’Homère, les Taborites revenaient sur la montagne du campement, s’asseoir à de fraternels banquets[1], écouter la voix du prêtre, et s’essayer à cette vie pleine de paix, de poésie et d’amour que l’espérance leur montrait à l’horizon.

La guerre dura seize ans, et Ziska y déploya une exaltation barbare mêlée à une rare profondeur de génie. Il était borgne : atteint d’une flèche[2], il perdit l’œil qui lui restait, et n’en devint que plus terrible. Cette nuit éternelle où il venait d’entrer n’avait fait qu’exalter les puissances de son cœur, et il s’en allait poursuivant le carnage dans les ténèbres.

Lui mort, Procope hérita de ses haines et de ses victoires [3].

Mais parmi les Bohémiens, il y avait, à côté de ceux qui disaient : « Pour être libres soyons tous frères, » ceux qui se bornaient à dire : « Soyons libres ; » à côté des Taborites, il y avait les Calixtins, thermidoriens d’alors, traîtres futurs qui dominaient dans Prague. Ceux-ci entrèrent en négociation avec le concile de Bâle ; et le 6 mai 1434, ils égorgèrent, au profit de l’ennemi commun, leurs alliés, leurs sauveurs, surpris en trahison ! Ce qu’un égorgement avait commencé, un combat l’acheva, et il n’y eut plus de Taborites.

Avec eux, cependant, ne périssait pas la doctrine. Les disciples violents avaient disparu ; restaient les disciples pacifiques, restaient les frères de Bohême, qui devaient être aux Anabaptistes ce que furent aux Taborites les Vaudois.

Mais ni la violence ni la douceur ne devaient de sitôt faire prévaloir parmi les hommes le principe de frater-

  1. Theobaldus, Bellum Hussiticum, p. 71. Rub.20. Francofurti, mdcxxi,
  2. 2 Æneæ Sylvii de Bohem. Hist, cap. XLIV, p. 39.
  3. Voy., pour la guerre des Hussites, l’éloquent récit qu’en a fait un de nos plus grands écrivains, George Sand. (La maison Meline, Cans et Cie a publié ces récits sous ce titre Jean Ziska, 1 vol. in-18, et Procope le Grand, à la suite de Jeanne, 2 vol. in-18.)