Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pagnies armées qui allaient remplir les vides déjà ouverts par la mort.

Une fois, Marcel suivit longtemps des yeux un sous-lieutenant de réserve qui arrivait accompagné de son père. Les deux hommes s’arrêtèrent au barrage d’agents qui empêchait les civils d’entrer dans la gare. Le père avait à la boutonnière le ruban vert et noir, cette décoration que le millionnaire n’avait pas le droit de porter. C’était un vieillard grand, maigre, qui se tenait très droit et qui affectait la froideur impassible. Il dit seulement à son fils ;

— Adieu, mon enfant. Porte-toi bien.

— Adieu, mon père.

Le jeune homme souriait comme un automate, et le vieillard évitait de le regarder. Après cet échange de mots insignifiants, le père tourna le dos ; puis, chancelant comme un homme ivre, il se réfugia au coin le plus obscur de la terrasse d’un petit café, où il cacha sa face dans ses mains pour dissimuler sa douleur. Et Marcel Desnoyers envia cette douleur.

Une autre fois, il vit une bande d’ouvriers mobilisés qui arrivaient en chantant, en se poussant, en montrant par l’exubérance de leur gaîté qu’ils avaient fait de trop fréquentes stations chez les marchands de vin. L’un d’eux tenait par la main une petite vieille qui marchait à côté de lui, sereine, les yeux secs, avec un visible effort pour paraître gaie. Mais, lorsqu’elle eut embrassé son garçon sans verser une